Malgré les actuels progrès de la médecine, la résistance aux antimicrobiens reste un fléau sanitaire du siècle. Et le Burundi n’est pas à l’abri. En quoi consiste concrètement ce phénomène ? Comment inverser la tendance ?
D’emblée, je bats ma coulpe. Je vais vous plonger un peu dans l’univers des microbes, le monde de l’« invisible à l’œil nu ». Ils sont milles fois plus petits qu’un millimètre. Ici, on va s’attarder sur ceux qui entraînent des maladies. Arrivés dans le corps, ces derniers se comportent comme des envahisseurs agressifs.
Faisons un petit saut dans le passé pour voir à quel point ils peuvent être dévastateurs sur plusieurs plans. L’épidémie de variole a fait une hécatombe au Burundi en 1882 sous le règne de Mwezi Gisabo. Toujours dans le Burundi monarchique, le pian (ibinyoro), une maladie infectieuse est rattachée à la mort du roi Ntare Rugamba. Et il y a Covid-19, cette pandémie dont les sévices sont encore frais dans nos mémoires.
Heureusement, on a fait de grands progrès dans le traitement des maladies causées par les microbes. Les unes ont été éradiquées. Pour les autres, on a des médicaments adaptés : les antimicrobiens. Ce sont des antibiotiques contre les bactéries, des antiviraux contre les virus, les antiparasitaires contre les parasites et les antifongiques contre les champignons microscopiques (ne pensez pas à ceux qu’on l’on déguste dans nos assiettes).
Genèse de la résistance aux antimicrobiens
En continuant dans le sens de ma comparaison, les antimicrobiens sont un arsenal d’armes à notre disposition. Comme dans toute lutte, vous comprendrez que si ces médocs sont mal utilisés, les microbes développent une résistance à leur égard et les neutraliser devient plus difficile.
Avec ce mésusage, il peut s’agir d’une habitude irraisonnée : l’automédication sous toutes ses formes ou d’une mauvaise pratique des professionnels de la santé. Les exemples sont nombreux : un parent qui court à la pharmacie acheter des antibiotiques dès que son enfant a de la fièvre. Un parent qui achète un antibiotique sur les dires d’un autre qui a soigné son enfant ayant les mêmes symptômes. Celui qui prend un médicament sans respecter la prescription de son médecin. Du côté des professionnels de santé, on incrimine surtout la prescription des médicaments sans arguments suffisants pour le choix de l’antimicrobien.
Effet boomerang
Dr Lionel Dushime est le représentant légal de l’Association Burundaise de lutte contre la résistance aux antimicrobiens (ABULCRAM). Il confirme l’émergence des microbes résistants et les retombées qui sont réelles au Burundi : « Actuellement, on fait face à l’apparition des germes résistants causant des infections de plus en plus difficiles à guérir. Pour une infection, que jadis, on soignait par la simple Amoxicilline, nous constatons qu’on commence à recourir à une antibiothérapie forte et coûteuse. Avec la RAM, le cout des soins de santé augmente pour le patient lambda, mais aussi pour le gouvernement qui subventionne certains soins. »
Pour illustrer ces propos, voyons voir le cas de Pacifique Arakaza, un jeune homme dans la vingtaine originaire de Mabanda. Son histoire est passée sur les médias sociaux lorsqu’on a lancé une collecte de fonds pour son traitement en Belgique. C’était suite à un long séjour dans divers hôpitaux avec échec de traitement d’une infection survenue à la suite d’une fracture à la jambe causée par un accident de moto. « Banshize ku ma antibiotique ashoboka, yose agira résistance kugeza aho bangirira commission médicale yo kuja kwivuza mu Bubiligi », lit-on dans son message relayé sur les réseaux sociaux.
Prendre la RAM à bras-le-corps
La résistance aux antimicrobiens menace de renverser des décennies des progrès déjà réalisés dans la lutte contre des maladies infectieuses. Malheureusement, au Burundi, c’est comme si on n’est pas conscient de ce fléau. Sur cet état de fait, Dr Dushime s’indigne : « La population et une grande partie des professionnels de la santé n’y font pas assez attention. En plus, nous ne disposons pas des études fiables y relatives pour y voir plus claire. Il n’y a que peu d’études parcellaires disponibles ».
Dr Lionel Dushime donne quelques stratégies de combattre la RAM, des stratégies sur lesquelles travaille l’ABULCRAM : « Au Burundi, comme la résistance aux antimicrobiens est plus marquée avec les antibiotiques, nous plaidons auprès des autorités sanitaires pour interdire la vente d’antibiotiques non prescrits par un professionnel de santé requis dans les pharmacies. »
Ce militant de la lutte contre la RAM met aussi l’accent sur la sensibilisation pour un bon usage des antimicrobiens auprès du grand public et des professionnels de santé par le biais de divers canaux stratégiques en engageant plus d’efforts au-delà de la semaine du 18 au 24 novembre dédiée à cette sensibilisation.