Dans une société patriarcale comme le Burundi, la représentativité de la gent féminine est un sujet de débat récurrent. Qu’en était-il à l’époque du Burundi monarchique ? La situation a-t-elle évolué au fil des années ? Des participants à un débat sur la question ont essayé d’y voir clair.
Modeste Bizimana n’y va pas par quatre chemins. Pour elle, la femme a été toujours marginalisée dans les instances de prise de décisions du Burundi ancien. Son rôle ne se limitait qu’aux travaux de la maison. Cette quinquagénaire s’appuie sur le fait qu’elle n’a jamais entendu une femme cheffe ou sous cheffe.
Que personne ne dise que la femme n’avait pas, jadis, de pouvoir de décision, lui rétorque Jean Ndayiragije. Ce sexagénaire rappelle la reine-mère Ririkumutima, un membre très influent du conseil de régence du jeune roi Mwambutsa Bangiricenge. Certes, poursuit-il, la femme burundaise était plus connue pour ses activités dans le foyer, mais elle jouait d’autres rôles auprès de son mari. Surtout lorsque ce dernier avait été intronisé comme Mushingantahe.
L’éducation des filles a cassé les codes
Tout est de la faute des us et coutumes de l’époque, renchérit Séraphine Manirambona. La logique de l’époque réduisait la femme comme le centre des activités du foyer. Quant à l’homme, il était le protecteur et le représentant du foyer à l’extérieur. Pour Manirambona, parler de marginalisation ou de discrimination, c’est sortir du contexte de cette époque.C’était une perception normale et les femmes ne semblaient pas s’en plaindre. « Avec la scolarisation, les femmes ont vu qu’elles sont capables de rivaliser avec les hommes sur le plan intellectuel. Une certaine « émancipation » s’en est suivie alors», indique-t-il.
La colonisation, la bête noire de la gente féminine ?
Selon professeur Emile Mworoha, l’analyse de la place de la femme dans les instances de prise de décisions peut se faire en trois temps : la période précoloniale, la période coloniale et la période post coloniale. Ainsi, avant l’arrivée des blancs, d’ ailleurs loin juste avant l’avènement du premier roi Ntare Rushatsi, il fut une reine du nom d’Inakibindigiri du clan des bashubi. Elle gouvernait la région de Banga. Elle céda son trône à l’arrivée du premier roi du Burundi Ntare Rushatsi. L’historien rappelle aussi le personnage d’Inarunyonga qui défiait les hommes. Pour cette période, Mworoha affirme que les femmes jouaient un rôle non négligeable dans la cour (Mukakaryenda, Inasato, Mukakiranga) ainsi que dans l’administration(Abatumbuzi). Le seul hic, et qui persiste toujours, c’est qu’elles n’avaient pas droit à la succession.
Avec la colonisation, les femmes ont été quasiment reléguées à leur rôle du foyer. Elles n’ont plus participé dans la gestion des affaires publiques. En 1934, une femme du nom d’Inamujandi s’est même révoltée contre les impôts exorbitants des belges à Ndora(Cibitoke). Elle fut arrêtée et emprisonnée à Ruyigi où elle est morte par après. Suite à cette politique d’exclusion des colons, les femmes n’iront pas à l’école. Des répercussions se feront sentir lors de l’indépendance. Aucune femme parmi le gouvernement post indépendance. Il s’en est suivi une longue traversée du désert des femmes dans les institutions. Ce n’est qu’avec la deuxième République de Jean Baptiste Bagaza que le Burundi connaîtra la première femme ministre (Euphrasie Kandeke). « Depuis, les choses ont évolué. Nous avons eu des femmes ayant hérité des portes feuilles ministérielles de grande envergure. La représentativité des femmes est donc un combat permanent que les femmes doivent toujours porter en avant. »,conclut-il.
« Les choses vont mieux maintenant »
Mais pour Modeste Bizimana, des avancées ont été réalisées. D’après elle, les lois accordent de plus en plus de place à la femme dans les sphères administratives. Et d’avancer des anecdotes attestant le changement de mentalité chez les femmes : « Avant, nous attendions tout des hommes. Nous ne savions pas acheter le sel ou encore acheter une boisson aux invités de la maison. Actuellement beaucoup de femme le font. Une preuve que la représentativité des femmes dans les hautes sphères fait gagner de l’estime de soi dans les foyers ».Ici, la voix de Chanelle Ndayikeza s’élève pour nuancer ses propos. La jeune fille ne nie pas les allégations de sa compatriote mais elle estime qu’il faut différencier la femme burundaise rurale de la femme urbaine. « Il ne faut pas les mettre dans le même sac car les femmes de la campagne sont encore marginalisées», dégaine-t-elle.
Mélance Ndabahinyuye, quant à lui, affirme que la représentativité de la gente féminine est bien une réalité aujourd’hui. « Regarde même le président a placé sa confiance en une femme pour être son porte-parole. », s’exclame-t-il, pétillante d’admiration. Malgré cela, Séraphine déplore le manque d’assurance des femmes burundaises. Elles ne prennent pas le devant, ne se soutiennent pas suffisamment. Si c’était le cas elles seraient plus représentées au regard de leur majorité numérique.