Au nord du Burundi le café traverse la frontière rwandaise pour être exporté frauduleusement. Selon les caféiculteurs, la renationalisation du secteur est la principale cause de cette exportation illégale. Enquête.
Nous sommes sur la colline Nyamihogoro en commune Muruta de la province Kayanza. Le ciel est clair, il fait beau. La campagne café 2020-2021 bat son plein. La plupart des caféiers plient sous le poids des cerises déjà mûres. Un collecteur de café cerise pour le compte d’une société privée attend les vendeurs.
Pierre*, un caféiculteur est tout sauf content du prix du café. Pour lui, le prix d’un kg de café cerise est modique : « C’est lamentable. Le prix d’un kg de maïs sec est supérieur à celui du café cerise. » Selon lui, c’est cela qui pousse les caféiculteurs à exporter le café vers le Rwanda où le prix est plus élevé. C’est cela qui incite certains à se lancer dans cette aventure risquée.
Colonel Rémy Cishahayo, gouverneur de cette province ne mâche pas ses mots : « Nous avons saisi 27 tonnes de café washed dans sept ménages. Les fraudeurs disposent de petites machines dépulpeuses ».
D’après lui, les administratifs à la base seraient impliqués dans cette fraude. « Personne ne peut dépulper et sécher plus de 27 tonnes de café à leur insu. C’est impossible », fait-il remarquer.
Pour cet administratif, le Rwanda aurait mis en place une stratégie pour faciliter la tâche aux fraudeurs burundais. Le voisin du nord a installé les centres de collecte du café le long de la frontière pour allécher les caféiculteurs burundais ayant un produit de bonne qualité.
Les gestionnaires des stations dans le coup
Selon Isaac Niyingabira, procureur de la République à Kayanza, certains responsables des stations de lavage de l’Odeca seraient impliqués dans ce commerce illicite. « Nous avons constaté qu’une partie de café saisi aurait été dépulpée dans les stations de lavage de l’Odeca. Nous continuons l’enquête pour traquer les stations de lavage impliquées ».
Six communes sur huit de la province de Kayanza sont touchées par la fraude du café. « Nous avons saisi le café washed dans les ménages des communes de Gatara, Muhanga, Butanganzwa, Gahombo, Rango et Kabarore », précise le procureur. D’ailleurs, les fraudeurs arrêtés en commune de Kabarore ont avoué qu’ils exportaient le café vers le Rwanda.
Au moment où nous y sommes passés, 7 commerçants trafiquants du café avaient déjà été identifiés. Néanmoins, cinq parmi eux sont en cavale. Les deux restants ont été jugés mais ils ont interjeté appel.
Ils sont accusés de crime de déstabilisation de l’économie nationale, un crime passible de 5 ans de prison et d’une amende d’un million et demie de BIF, selon l’article 430 du Code pénal en vigueur.
La manipulation frauduleuse des balances
Mais il ne faut pas se tromper. L’exportation frauduleuse du café au nord du pays s’explique par plusieurs raisons. Outre les prix, la renationalisation du secteur café y est pour quelque chose. « Il s’observe des manipulations frauduleuses des balances utilisées pour la pesée dans les stations de lavage. Cela contraint les caféiculteurs à traiter manuellement le café pour le vendre aux ’’commerçants-fraudeurs’’ », confie J.N, caféiculteur de Nyamiyogoro de la commune Muruta.
Selon lui, les caféiculteurs ne sont pas dupes. Avant d’amener leur café aux stations de lavage, ils le pèsent d’abord. A leur grande surprise, les résultats ne sont pas les mêmes comme si les balances ne sont pas calibrées de la même manière. « Si le caféiculteur est roulé dans la farine une ou deux fois, il n’y va plus. Il est découragé ».
D’après lui, avant la renationalisation, les coopératives délèguaient un représentant des caféiculteurs pour vérifier si la balance n’était pas truquée.
D’ailleurs, les caféiculteurs ont créé les coopératives parce qu’ils se faisaient voler aux stations de lavage. « C’est peut-être de ce côté qu’on peut chercher les origines de la fraude », souligne-t-il.
Des rendements irréalistes.
D’après Claver*, le rendement demandé dans les stations de lavage de l’Odeca est aussi l’une des causes de la fraude. Ce rendement est très bas. 4,5 kg de cerise sont supposés donner seulement 1kg de café parche. « C’est connu, il faut au moins 5 kg de cerise pour avoir 1 kg de café parche ».
Il le dit : « Ces résultats sont irréalistes.Quand je travaillais à Buyenzi, on a mené une enquête et nous avons trouvé qu’il faut au moins 5 kg de cerise pour avoir 1 kg de café parche. » Ce rendement est irréaliste. Ce qui poussait les gestionnaires des usines à frauder pour atteindre le rendement exigé par l’Odeca.
Un autre caféiculteur qui nous écoutait silencieusement explique : « Il arrive qu’un caféiculteur amène le café de catégorie A, mais à l’usine on le met sur la fiche de la catégorie B. Le caféiculteur n’a nulle part où se plaindre. Il se résigne », déplore-t-il.
Quant à cette femme gestionnaire de l’une des stations de lavage en province Ngozi, elle pense que la fraude est essentiellement pratiquée par les commerçants. Même si quelques paysans sont tentés d’exporter clandestinement le café, ils ne vendent que de petites quantités pour subvenir à leurs besoins.
Ce sont des commerçants qui jouissent de la complicité de l’administration à la base et celle des chefs de stations de lavage. Surveillés par les administratifs à la base, les caféiculteurs ne peuvent pas faire sécher de grandes quantités chez eux. Les commerçants-fraudeurs collectent ces petites quantités dépulpées manuellement par les caféiculteurs et vont les faire sécher dans les usines.
L’appétit des devises
Une fois séché, le café peut être vendu frauduleusement dans les pays limitrophes. Si par chance le commerçant parvient à écouler sa marchandise à l’extérieur, il touche le pactole. Une fois son café acheté en monnaie forte, ces devises sont directement déposées sur son compte personnel dans une banque commerciale. Et il va échanger ces devises sur le marché noir.
Normalement, l’argent tiré de l’exportation transite sur les comptes des usines ouverts à la BRB. Cette dernière les convertit en BIF et transfère l’équivalent sur les comptes ouverts dans la banque commerciale locale, les usines n’ayant pas de comptes en devises dans les banques commerciales.
Le retard de paiement serait aussi à l’origine de la fraude. Les caféiculteurs préfèrent vendre frauduleusement leur produit parce que le paiement du café arrive tardivement. « Imagine, si le caféiculteur vend son café à l’usine. Il peut passer deux mois sans percevoir son dû. Or, s’il sèche son café, il peut avoir son argent dans une semaine ».
Dans un point de presse animé ce 22 juillet, le ministre l’Environnement, de l’Agriculture et de l’Elevage, Déo Guide Rurema a reconnu qu’il y avait des agents véreux chargés de la collecte du café qui traficotent leurs balances pour tricher lors de la pesée. « Il ne faut pas avoir peur de les dénoncer et de me faire signe si vous les surprenez en train de s’adonner à tels agissements », a mis en garde le ministre Déo-Guide Rurema.