« Cette fois, s’il faut mourir pour les intérêts de mon pays, je mourrai sans tuer. »
À l’âge de treize ans, Serge Selemani s’est vu enrôlé dans l’armée. Enfant soldat, il a activement participé au mouvement de libération, conduit par feu Laurent Désiré Kabila, pour chasser du pouvoir le maréchal Mobutu Sese Seko. Après six années passées dans le maquis congolais, Serge a pu se reconstruire et retrouver une vie normale.
Diplômé en sciences de l’information et de la communication, il s’essaye surtout à la politique pour « conquérir le pouvoir qu’il n’a pu avoir par les armes ».
Cette édition de Rencontres et Profils est présentée par Razzack Saïzonou.
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Voici quelques extraits de cette édition, retranscrits ci-dessous :
Serge : Je suis devenu enfant soldat lorsque j’avais treize ans. Nous étions recrutés par les aînés, avec qui nous vivions à l’est de la République démocratique du Congo. Ils nous ont fait remarquer que nous souffrions, que nous n’allions pas à l’école, que nous ne mangions pas bien du fait qu’à Kinshasa, une seule personne – l’ancien président de la République, le feu maréchal Mobutu – ne voulait pas que les enfants vivent heureux. D’où il fallait aller le chasser. Voilà comment ils nous ont amené dans ce mouvement.
Razzack : Pourquoi as-tu cru à cela et les as-tu suivi ?
Pour deux raisons. La première : j’avais envie de quitter le pays et d’aller de l’autre côté, parce qu’on sous-entendait que de l’autre côté, c’était le paradis. La deuxième : si j’allais là-bas, j’étais formé. En plus, je retournais ensuite dans mon pays et je devenais ministre, militaire ou général. Je devais renverser le régime parce que ce régime-là nous malmenait.
L’autre côté, c’était où ?
Soit au Canada, soit aux Etats-Unis, soit dans un des pays limitrophes de la République démocratique du Congo.
Ce n’est pas ce qui s’est passé finalement…
Non. On a quitté nos milieux et on s’est retrouvé dans la brousse, dans un camp militaire, entouré de militaires déjà formés. Nous, nous étions en tenue civile, tantôt en culotte, tantôt en babouches, tantôt pieds nus. On nous a dit qu’on ne rentrerait plus chez nous. On nous a donné un bâton et on nous a dit de le tenir comme si on avait une arme. Il ne fallait pas perdre ce bâton ; si on le perdait, c’était la chicotte.
À quoi ressemble le quotidien d’un enfant soldat ?
C’est la misère, c’est le traumatisme. Nous étions là comme des éléments d’exécution. Vous ne recevez que les ordres. Quand l’ordre arrive, il faut obtempérer, exécuter.
Tu as pourtant préféré rester dans ce milieu, alors que tu aurais pu t’échapper, partir…
La plupart des amis qui ont tenté de s’échapper, soit ils sont morts, soit ils sont revenus dans leur ville et ils n’ont plus été acceptés par leur famille. Si tu fuis, tu meurs. Aussi, comment quitter la plaine de la Rusizi, où nous étions installés, et faire 300 kilomètres à pied pour rejoindre Uvira ou Shabunda ? On avait peur…
On vous droguait aussi ?
On ne nous droguait pas, nous nous droguions nous-mêmes. Généralement, la plupart des militaires fume. J’ai fumé du chanvre. En fumant, la peur disparaît. On effectuait aussi des pratiques fétichistes, on suivait un certain rituel qui faisait que nous devenions invulnérables. Plusieurs fois, on a tiré sur moi et je ne suis pas mort. À condition que je ne vole pas, que je ne viole pas, que je ne couche pas avec une femme.
As-tu des remords aujourd’hui ?
À l’époque, je n’avais pas de remords. Maintenant, si c’était à refaire dans les mêmes conditions, je ne le referais pas. Mes amis ont perdu la vie, j’ai vu leur jeunesse s’envoler. D’autres sont devenus infirmes et n’ont pas étudié.
Comment t’es-tu reconstruit après cela ?
Ca n’a pas été facile pour moi. Le jour où j’ai quitté l’armée, j’ai eu des traumatismes durant deux à trois ans. Je pensais beaucoup à ma mère. J’ai tué des mamans, comme les gens qui ont tué la mienne.
Quel sens donnes-tu aujourd’hui à ton engagement politique ?
Servir, servir mon peuple, mon pays sans les armes, par la voie démocratique. Cette fois, s’il faut mourir pour les intérêts de mon pays, de ma nation, je mourrai sans tuer. Je préfère être tué que de tuer encore.