Pancrace Cimpaye est l’une des grandes figures de la classe politique burundaise, leader de la coalition ADC Ikibiri en Europe, ancien porte-parole du président Domitien Ndayizeye et exilé en Belgique. Il revient sur la situation au Burundi, dans cette interview accordée par voie virtuelle aux blogueurs de Yaga.
Yaga : Pouvons-nous dire que la lutte contre le troisième mandat a été un échec ?
Pancrace Cimpaye : Non, ça n’a pas du tout été un échec. C’est la première fois que tout le monde, y compris la communauté internationale, se rend compte que depuis 2010 nous avions raison que Nkurunziza est un dictateur qu’il faut mettre dehors. Il suffit de voir les sanctions de différents partenaires du Burundi, qui ont fermé les robinets économiques – que ce soient les Pays-Bas, la Belgique, l’Union européenne, l’Union africaine… Je pense plutôt que nous sommes sur une bonne voie.
Peut-on se fier à cette communauté internationale, que beaucoup accusent de n’agir que par des mots ?
Ce ne sont pas que des mots : par exemple, l’Union européenne a bloqué huit millions d’euros destinés au processus électoral. Mais, bien entendu, ce qui compte c’est la détermination du peuple burundais, parce que la communauté internationale est toujours du côté du plus fort. C’est à nous, les Burundais, d’établir les rapports de force pour qu’elle reste derrière nous.
Au vu de la participation massive aux élections, les Burundais ne semblent-ils pas avoir plutôt répondu à l’appel du gouvernement ?
Les statistiques sont erronées. Je ne pense pas que le Burundais se soient rendus massivement aux élections. Normalement, conformément au code électoral, les résultats des législatives devraient être publiés le lendemain. Pourtant, ça a pris quasiment une semaine pour qu’on connaisse l’issue de ces élections. On était en train de manipuler les résultats.
Ne pensez-vous pas que l’opposition burundaise a un grand problème : celui de ne pas parvenir à s’organiser ?
Avoir des ambitions personnelles, c’est normal. Mais en ce moment précis, l’opposition devrait avoir un interlocuteur commun, parler d’une seule voix. Une organisation comme la nôtre, si elle n’est pas bien structurée, va désorienter le peuple burundais.
Nkurunziza fonce… Concrètement, que comptez-vous faire, ayant boycotté le processus électoral ?
Le peuple est très en colère. Certains ont pris les armes depuis le 10 juillet. Ce genre de réaction risque de s’accentuer. Une chose est certaine : on ne peut pas laisser Nkurunziza régner encore cinq ans. Tous les moyens sont bons pour le mettre dehors. Sinon, il fera de tout le monde ses prisonniers et ses esclaves. Et le laisser faire serait un suicide collectif.
Soutenez-vous cette lutte armée ?
Dans ce genre de situation, c’est l’ennemi qui vous impose de combattre. Pendant les manifestations contre le troisième mandat, la police a tiré sur des civils qui avaient les mains en l’air. Nous, on avait averti que si ça continuait ainsi, les manifestants allaient se résoudre à se défendre. C’est une question de survie. Et c’est un combat légitime. Certes, nous ne sommes pas une opposition armée, mais nous le comprenons.
Et que pensez-vous des rapports de force ?
Je pense que Nkurunziza a déjà de gros soucis. Il a déjà détruit l’armée. Un chef d’État qui ose déclarer par la voie des ondes, devant les caméras, qu’il est content qu’un caporal a humilié un général ; un chef d’État qui déclare qu’il va détruire le bataillon Para, c’est un chef d’État qui n’est pas à sa place. Aujourd’hui, le Burundi n’a plus d’armée. Nkurunziza ne pourra donc pas mener ce combat à partir du moment où il n’a pas d’armée.
La jeunesse semble avoir perdu toute confiance en la classe politique burundaise. Qu’en pensez-vous et que comptez-vous faire pour restaurer cette confiance ?
Elle n’a pas totalement tort. Je pense que renouveler la classe politique burundaise ne serait pas une mauvaise chose. Il y a des vieux qui devraient déjà être à la retraite. Mais je crois aussi que nous avons aujourd’hui besoin de tout le monde, car les défis sont énormes. On ne peut pas s’amuser à mettre les gens dehors. On aura aussi besoin de gens expérimentés.