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Des noms et des visages pour guérir

Est-il nécessaire de se souvenir de celles et ceux dont la mort n’a pas fait la Une des médias mais qui sont tombés à cause de la folie meurtrière qui a endeuillé le pays ? Pourquoi est-il important pour les familles et pour le pays de mettre des noms (et peut-être des visages) sur les victimes “lambda’’ qui sont mortes dans un cruel anonymat ?   Eléments de réponse.

C.N une dame âgée habite la colline de Bukinga de la commune Giheta en province de Gitega. Son mari, A.B, a été tué pendant la crise de 1993 consécutive à l’assassinat du président Melchior Ndadaye. Ses bourreaux l’ont jeté vivant dans la rivière Ruvyironza, attaché à son neveu. Son corps n’a jamais été retrouvé. Un  des  fils C.N a aussi connu une fin tragique. G.N était élève à l’école secondaire. Quand la crise de 1993 a éclaté, il a essayé de regagner Bukinga pour rejoindre les siens. Il n’est pas arrivé à destination. Arrêté par un groupe de jeunes, il a été conduit dans une plantation de caféiers sur la colline de Gashinge à sa descente de bus qui le ramenait de Bujumbura. Ils lui ont simplement demandé de dire ses dernières prières avant de le découper à la machette et de l’enterrer à la hâte. A Bukinga, peu de personnes se souviennent du mari ou du fils de C.N. Tous ont oublié, sauf elle et les siens.

La douleur, dénominateur commun

De telles tribulations, ce n’est pas seulement C.N qui les a vécues. J.R, 38 ans, a perdu son père le 20 septembre 1994. A.N, conseiller chargé des questions économiques et sociales de la commune Ntega n’a commis que le péché de vouloir apaiser les tensions qui ont surgi le jour du marché. L’administrateur qui avait eu vent des affrontements interethniques imminents après l’assassinat du président Melchior Ndadaye, lui a demandé de l’accompagner pour essayer de calmer les esprits. Mal lui en prit, car les deux tomberont dans une embuscade tendue par certains déplacés du camp des environs. Armés de machettes, ces derniers tomberont sur eux à bras raccourcis. L’administrateur qui conduisait la moto aura plus de chances que A.N sur qui la moto s’est renversée et qui sera achevé à coups de machette par les assassins. 

Se souvenir d’eux ? Difficile de glisser cette question dans le flot ininterrompu de son récit sur la mort de son papa. Mais, il reconnaît que la famille n’a pas eu d’occasion propice pour honorer la mémoire de leur cher disparu. Oui, une messe de requiem est souvent dite en sa mémoire. Mais cela est-il à la hauteur de la souffrance endurée ? 

Comment sortir les victimes de l’anonymat ? 

Se souvenir, oui. Encore faudrait-il bien identifier les victimes. Pour autant, selon monsieur Remezo, cela devrait être fait avec prudence pour le bien de la guérison des mémoires afin que ceux qui ont perdu les leurs puissent vivre paisiblement et d’une manière épanouie. Il évoque une autre idée qui devrait interpeller ceux qui œuvrent pour la réconciliation. Se souvenir, ou du moins le processus qui devrait y conduire, devrait associer le voisinage où les notables intègres devraient avoir leur rôle à jouer. Ce processus devrait privilégier la proximité pour réussir, car ce qu’on voit à la télévision ou entend à la radio n’implique pas toujours les communautés au premier plan. 

 Tous devraient pouvoir se souvenir

« Ni bande bibuka ? » (Qui se souviennent? Ndlr), une question essentielle qu’Aloys Batungwanayo, expert en Mémoires et membre de la Commission vérité et réconciliation (CVR) a soulevé quand nous lui avons posé la question de savoir s’il est important de se souvenir de ceux qui sont morts dans l’anonymat suite aux crises cycliques que le pays a connues. D’après lui, se souvenir peut se faire à 3 niveaux : la famille, l’entourage et le pays. Quand l’entourage et l’administration sont favorables, la famille le fait officiellement. Si c’est le cas contraire, elle le fait en cachette. Ce sont les circonstances qui déterminent comment on va se souvenir des disparus. 

Et d’ajouter que c’est dangereux de refuser aux familles le droit de se souvenir des leurs. « Leur priver de ce droit revient à préparer un autre cycle de tueries », met en garde Aloys Batungwanayo. « C’est encore pire quand vous accordez ce droit à certains et que vous le privez aux autres », renchérit-il.

Des noms sur les symboles de souffrances, pourquoi ?

Quand on construit des monuments pour les victimes, on ne le fait pas pour nous seulement, on le fait pour que cela serve de leçon aux générations futures. « Si les familles mettent non seulement des noms, des photos mais aussi les dates de naissance et de décès, elles le font pour une raison. S’il n’y a pas de noms sur ces monuments de la souffrance, ils ne signifieront rien pour les générations futures, parce qu’ils n’auront de signification que pour nous qui connaissons ceux qui y sont enterrés », souligne Batungwanayo. Si les noms sont connus, pourquoi ne pas les mettre ? « Les monuments de Gihamagara, celui de Kw’ibubu, nous ne les avons construits que pour nous-mêmes. Nous ne les avons pas construits pour les Burundais qui vivront dans 50 ou 100 ans car ils ne signifieront rien. Ils pourraient les détruire et ainsi effacer tout un pan de l’histoire du pays ».

 

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