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Montée des eaux du lac Tanganyika : surfer sur la vague ou couler ?

Depuis un certain temps, le niveau du lac est monté d’un cran. Il a dépassé la barre  de 776m alors qu’il ne dépassait pas 775 m il y a seulement quelques années. Selon les experts, cette montée n’est pas nouvelle, le Tanganyika déborde souvent ses rivages, au grand dam des riverains qui subissent les conséquences. Mais qu’est-ce qui est à l’origine de cette valse désastreuse à laquelle se livre ce lac ? L’activité anthropique y serait-elle pour quelque chose ? Peut-on vraiment s’en prévenir ? Nous sommes allés squatter les bureaux des experts.

Elle s’appelle Neriya Nicayendabizi. Elle est âgée de 70 ans. Avant les malheurs qui ont frappé Gatumba, elle habitait au PK 9. Comme si elle racontait un film d’horreur, avec cette voix si monotone, elle nous raconte la nuit où tout a basculé. « Je dormais profondément, avant d’être réveillée par les cris des voisins. J’ai vite sauté hors de la maison. Subitement, je suis tombée dans des eaux qui m’arrivaient jusqu’aux aisselles. J’allais être emportée n’eut été des jeunes hommes qui m’ont attrapée par la taille et m’ont emmenée jusqu’à la route asphaltée. C’est comme ça que j’ai été sauvée du déluge de 2021 ».

On pourrait penser que Neriya était au bout de ses peines, et bien non. Comme d’autres habitants qui avaient été chassés par les inondations de Gatumba, Neriya a été provisoirement relogée à Kigaramango, à moins de 5 km de Gatumba. Là aussi, la nature a frappé. Tanganyika et son affluent, la rivière Rusizi, inonderont Kigaramango en une seule nuit pour encore une fois laisser dame Neriya dans la désolation. Les autorités décideront d’installer les malheureux au site Sobel, à la 13ème avenue de Maramvya, tout près de la RN5, où nous avons rencontré notre interlocutrice.  A l’ombre, sous un Shitingi (une tente) de fortune, Neriya, démunie, est résignée. Elle semble ne plus rien attendre face à cette nature qui a bonnement décidé de tout lui prendre. 

« Oya reka twarajakaye », un cri de désespoir

Comment vit-elle cet exil climatique ? « Oya reka twarajakaye. Nabana n’umukobwa wanje n’umugabo wiwe munzu, bararondera naje nkabafasha. Twari dufise aho tuba, twibeshejeho. None ubu twese dutega amaboko. Ariko turashima ko atawapfuye » (Ne m’en parle pas, ça a été terrible. J’habitais avec ma fille et son mari. Ils se débrouillaient de leur côté et moi de mon côté. Nous avions le gîte et le couvert. Maintenant on vit de la charité des gens. Mais au moins il n’ya pas eu de mort). Voilà deux ans que la vue déclinante de  Neriya se combine avec la confusion qui règne dans son esprit. Deux ans qu’elle n’espère plus avoir une demeure digne de ce nom. 

L’Onu info, un site d’information des Nations Unies annonçait, il y a quelques temps, qu’« au cours des deux dernières années, de fortes pluies persistantes, suivies d’inondations, de glissements de terrain et de vents violents, ont fait monter les eaux du lac Tanganyika à des niveaux dangereux, engloutissant des routes entières, des marchés, des cours d’école et des églises ».

Neriya et ses compagnons de malheurs ne sont pas au bout de leur peine, c’est le moins que l’on puisse dire. « Si cela se poursuit jusqu’en 2022, les destructions seront énormes et un inventaire des coûts économique et humain sera nécessaire pour concevoir un plan de relèvement », a déclaréà Onu info Gabriel Hazikimana, directeur de l’environnement. Neriya fait partie des 52 mille personnes touchées par les inondations en 2021. Mais, qu’est-ce qui est responsable de tous ces malheurs ? 

Comme un air de déjà vu

En 1963-1964, le lac aux eaux douces a débordé ses berges. Mais là, il y a eu moins dégâts car peu de gens habitaient sur ses rives. Comme un air de déjà vu, il s’est passé exactement ce qui a eu lieu récemment à Gatumba. Les gens ont été obligés d’abandonner leurs maisons pour échapper à la montée des eaux. Quand l’eau a baissé de niveau, les gens sont retournés y vivre.  

Ces soubresauts du lac Tanganyika dans le temps nous sont racontés par Albert Mbonerane, président de l’association Ceinture Verte (ACVE). Ainsi, d’après lui, la montée des eaux du lac peut être la conséquence du changement climatique. Mais, il peut aussi s’agir des sols charriés par les rivières qui viennent remplir le fond du lac. La terre n’étant pas bien protégée, les rivières comme Nyagangwa, Mutimbuza, Muha ou Kanyosha transportent des quantités de sols vers le lac Tanganyika. C’est ce qu’on appelle « envasement » en français. 

Pire encore, plus de 100 rivières de la sous-région se déversent dans ce lac, un fait qui, selon lui, est une des causes de tous ces malheurs. L’érosion causée par le  déboisement des montagnes surplombant la ville de Bujumbura entraîne un envasement du lac en aval et provoque également la montée de ses eaux, ajoute M. Mbonerane. 

On était à 50 cm du niveau de 1963-1964

Ce qu’il ne faut pas perdre de vue est que le bassin-versant du lac Tanganyika est énorme, avec plus de 231 mille km², comme nous le lisons dans un document baptisé Plan d’aménagement intégral du littoral du lac Tanganyika rédigé par des experts. Ce bassin couvre 4 pays et le Burundi n’a que 8%. Il englobe celui du lac Kivu. C’est ce qui explique que les eaux peuvent parfois monter de niveau alors qu’il n’a pas plu chez nous, fait savoir Gaspard Ntakimazi, professeur à l’Université du Burundi

Si on a des pluies au-dessus de la normale 3 années successives, les eaux du lac Tanganyika montent. Si on regarde le niveau des eaux  atteint avec les dernières inondations, on était à 50 cm du niveau de 1963-1964. Ça veut dire que si ce niveau avait été atteint, l’aéroport aurait été inondé, d’après Gaspard Ntakimazi. 

L’activité anthropique : coupable ou bouc émissaire ?

Pr Ntakimazi tempère. Oui, le couvert végétal retient l’eau qui s’infiltre dans le sol. Mais, il faut savoir que même si l’eau s’infiltre, il arrive à la nappe phréatique qui communique avec le lac Tanganyika. Donc le boisement des montagnes surplombant le lac Tanganyika ne fait que retarder la montée des eaux car les eaux infiltrées finissent par atteindre le lac. 

C’est la même observation que Ntakimazi fait à ceux qui pensent que le pavage en milieu urbain, les routes bitumées et l’enlèvement du sable et des pierres des rivières qui traversent la ville de Bujumbura accentuent la montée des eaux du lac Tanganyika. Tout cela ne fait qu’accélérer le phénomène d’après lui. Tout comme ceux qui pensent que les alluvions et les sols issus de l’érosion peuvent contribuent à remplir la cuve du lac Tanganyika et ainsi favoriser la montée des eaux, l’expert oppose une fin de non-recevoir. Et pour cause, le lac Tanganyika, qui plus est, est sur la faille du Lift Valley subit l’effet de la tectonique des plaques sur lesquelles il se trouve, ce qui veut dire en français facile que la cuve du lac est en douce mais inexorable expansion. On ne doit donc pas se faire du souci à ce niveau, d’après M. Gaspard. 

Inscrire toute action dans le cadre global 

Se prévenir du changement climatique n’est pas une affaire facile d’après M. Ntakimazi. Il faut commencer par appliquer rigoureusement les règlements en vigueur. Par exemple, la moindre des choses est de respecter la distance de 150 m qui a été édictée pour protéger à la fois le lac et les riverains. Eviter de construire dans les zones non-constructibles est aussi une nécessité incontournable, du moment qu’on ne maitrise pas la technicité pour construire dans ces zones, d’après l’expert. Toutefois, le professeur tient à souligner que pour le bien de l’efficience et de l’efficacité des actions qui sont menées au plan national, ces dernières doivent s’inscrire dans le cadre global. 

 

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