Nos médecins partent en grand nombre vers l’étranger. Et le gouvernement l’a avoué. Devant les députés, Dr Sylvie Nzeyimana, ministre en charge de la santé publique, indiquait qu’une enquête menée dans 80 hôpitaux a révélé que 130 médecins sont partis. Une information qui fait froid dans le dos. Désolation et panique chez les patients.
« Que voulez-vous qu’on dise ? On va mourir comme des mouches, sans secours. Se faire soigner devient de plus en plus un luxe. Sans argent, sans docteurs en permanence, seuls les riches vont se faire soigner. Nous, les pauvres, c’est fini », déplore Isidore Nduwayo, un homme croisé au centre-ville de Bujumbura. Pour lui, ce chiffre annoncé par madame la ministre fait peur : « Et je pense que ce nombre peut être supérieur.»
Cet homme, dans la soixantaine, dit craindre le pire. « Et s’il n’y a pas de médecins, à quoi serviront ces hôpitaux ? Les gens vont y aller tout simplement pour attendre la mort parce que les soignants ne sont pas disponibles. » Et de demander au gouvernement d’arrêter des mesures pour stopper ce mouvement. Pour lui, l’Etat devait contraindre ces médecins à rester au pays, surtout qu’ils sont étudiés sur les frais du gouvernement. « Sinon, ils devraient rembourser tout cet argent que l’Etat a déboursé pour leur scolarisation », insiste-t-il.
Au sein des unités sanitaires, les lamentations aussi fusent de partout. « Ça fait déjà plus de quatre heures qu’on attend le médecin, mais il n’est pas encore là. Hier, j’ai passé toute la journée à attendre et c’est vers le soir qu’on nous a annoncé que le médecin ne viendra finalement pas. Entretemps, mon état de santé se détériore », confie Leila, une maman, la trentaine, rencontrée à un des hôpitaux publics de Bujumbura.
Néanmoins, contrairement à notre première source, elle semble comprendre les raisons du départ de ces médecins. « Je pense qu’ils partent suite au maigre salaire. Et là, à mon avis, ils ont droit d’aller chercher un meilleur salaire ailleurs. Ainsi, c’est au gouvernement de nous sauver en leur accordant un bon salaire.»
Enseignante, Leila trouve qu’il est même difficile à un médecin mal payé de bien exercer son travail, traiter les patients.
« Le bas salaire m’a poussé à aller chercher ailleurs »
P.N, est un docteur de nationalité burundaise. Ça fait presque trois ans qu’il preste dans un hôpital, dans un pays de la région. « J’aurais aimé rester au Burundi, soigner mes parents, mes sœurs et frères, mes compatriotes. Mais le bas salaire m’a poussé à aller chercher ailleurs », témoigne-t-il. C’est en 2020 qu’il a décidé de partir. « Vraiment, c’est un honneur de servir ton pays, mais la vie est autre chose. Avec le salaire, au Burundi, c’était très difficile de satisfaire mes besoins et d’aider mes parents. C’était presqu’impossible de faire un projet de mariage. Je devais demander des découverts à la Banque pour joindre les deux bouts du mois », se souvient-il.
« Et ce qui est plus gênant, quand on est appelé Docteur, les gens pensent que tu gagnes beaucoup d’argent. On a tendance à mener une vie aisée alors que le salaire ne le permet pas. », poursuit-il.
P.N ajoute d’ailleurs que le fait de ne pas être capable de satisfaire les principaux besoins, de ne pas aider ses parents par exemple, crée un stress permanent. « Et quand on est stressé, c’est difficile de bien traiter les patients. »
Avant de partir, P.N travaillait dans un hôpital à l’intérieur du pays. « Là, on se retrouve dans un coin où il n’y a pas d’hôpitaux privés. Ceux affectés à Bujumbura ont les possibilités d’exercer dans d’autres hôpitaux privés pour élargir les sources de revenus. Mais ceux de l’intérieur du pays, même les heures supplémentaires, les prestations nocturnes ne sont pas pris en compte dans le calcul du salaire », décrit-il, notant que cela décourage les professionnels de santé.
Interrogé s’il n’a pas violé la loi en partant prester à l’étranger, alors qu’il a étudié la médecine sous les frais de l’Etat, il s’explique : « Je n’ai violé aucune loi. Rien ne m’empêche d’aller chercher la vie ailleurs, ou de travailler ailleurs. Si l’Etat avance que les médecins ont étudié sous les frais du gouvernement, pourquoi on n’empêche pas les ingénieurs, les mathématiciens, les physiciens, les agronomes, … d’aller prester ailleurs ? N’avons-nous pas fréquenté la même université publique ? Et que dirait l’Etat pour les docteurs, les médecins qui ont fait les universités privées ? »
Pour lui, le problème ne se pose pas à ce niveau : « Si l’Etat veut avoir des médecins, qu’il adapte le salaire au contexte économique du pays. Qu’il améliore les conditions de travail. Là, même les médecins étrangers vont venir au Burundi. »
Actuellement, P.N affirme qu’il gagne presque le quadruple du salaire qu’il avait au Burundi. Et ce, souligne-t-il, dans de bonnes conditions de travail, sans stress quotidien de ne pas pouvoir payer le loyer, aider ses parents, etc.
Un constat amer et une réponse lointaine
Alors que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) recommande 1 médecin pour 10 mille habitants, au Burundi, on est encore très loin. Les données de 2004 indiquent qu’il y avait 0,4 médecin pour 10 mille habitants, 0,1 médecin pour 10 mille habitants en 2018 et 1 médecin pour 37 mille habitants en 2022. Seulement 2720 médecins étaient inscrits au tableau de l’ordre des médecins du Burundi, y compris ceux qui sont partis ailleurs, les retraités et les morts.
Interrogés sur les motifs de ces départs, Mélance Hakizimana, président du Syndicat national du personnel paramédical et aide-soignant (SYNAPA) évoque d’abord le bas salaire qui ne fait plus vivre un fonctionnaire de l’Etat : « Normalement, le salaire devrait être fixé en se basant sur le coût de la vie. Actuellement, tous les prix des produits ont monté. Or, le salaire est resté le même. Donc, le pouvoir d’achat du fonctionnaire, du médecin régresse. »
Dans ces conditions, il indique que c’est normal que les gens aillent chercher ailleurs où l’herbe est plus verte. D’après ce syndicaliste, le nouveau statut général des fonctionnaires a amplifié ces départs. « En fait, le secteur sanitaire devrait être traité à part. Les médecins, le personnel soignant, … ne devraient pas être considérés comme les autres fonctionnaires à voir leur travail, les heures supplémentaires, le travail de nuit qu’ils effectuent », justifie-t-il, notant que dans ce contexte, il n’y a rien d’étonnant que les gens migrent, partent chercher ailleurs. Ce qui ne manque pas d’affecter les patients burundais.
Pour M. Hakizimana, seul le dialogue entre le gouvernement et les syndicats du secteur de la santé peut aider à sortir de cette situation. Malheureusement, à entendre les réponses peu convaincantes de la ministre de la Santé publique et de la lutte contre le Sida, lors de la séance des questions-orales à l’Assemblée nationale, le 19 septembre 2023, on se doute que la solution n’est pas pour bientôt.
« Le constat est là ! Le ministère est en train de réfléchir sur la question », a-t-elle répondu, aux députés, sans donner aucun détail sur ce qui est en train d’être fait.