Un des entraves qui minent le chemin du jeune garçon qui avance vers l’engagement au mariage est l’exigence de la dot. Aujourd’hui plus qu’hier, la dot ( « Inkwano » en kirundi) se présente plus comme un défi pour le futur foyer. Dans la culture burundaise, c’est la famille du prétendant ou le prétendant lui-même qui doit s’acquitter de la dot. Cependant, il n’est pas rare que les rôles soient inversés. Quel est, après tout, le sens de la dot ?
Les jeunes filles de notre temps n’échappent pas à la vieille tentation d’ukwigemura (retrouver le garçon et cohabiter chez lui sans aucun rite ni cérémonie), c’est une pratique connue. L’usage culturel de l’inkwano est alors remis au second plan et pour cause, soit le garçon est au dépourvu et ne peut pas réunir une somme suffisante pour doter la fille, soit il se fiche de cette culture ou encore la fille saute sur la première occasion qu’elle trouve à se mettre en ménage avec un compagnon. La pratique de la dot n’est pas moins polémique. Pour tenter de démêler les idées à propos de cette tradition qui suscite des débats actuellement, j’ai eu une discussion teintée d’humour avec un groupe de jeunes garçons et jeunes filles sur leurs projets de mariage.
La dot a-t- elle changé ?
Leurs points de vue étaient loin d’être unanimes. Quand la discussion s’est élargie sur le rôle de la mariée, une fillette s’est indignée : « Erega ubu umukobwa ataco afise ntaronka umugabo » (Actuellement, une fille pauvre ne trouve pas de mari.). Un garçon du groupe ne l’a pas désapprouvée : « Ahubwo mbere ubu ahuko uzana umugore ataco yimariye, ivyo vyo kurongora wopfuma ubiheba. Ategerezwa kugufasha kwitegura » (Au lieu d’épouser une fille qui n’a rien, mieux vaut ne pas se marier. Elle doit te donner un coup de main dans les préparatifs du mariage). Et l’amour, et la tradition ? Les jeunes n’y prêtaient pas attention. Ils étaient convaincus qu’à notre époque, les repères ont changé surtout concernant la dot qui ne doit plus être le poids porté par le prétendant seul.
Et la dot dans la culture burundaise ?
Dans la revue Vivons en Église de septembre-octobre 1992, des penseurs burundais se sont attelés sérieusement à la question de la dot qui, déjà à cette époque constituait un enjeu réel et crucial. La revue commence à indiquer que l’inkwano est traduit à tort en français par «dot ». La définition du dictionnaire indique en effet qu’il s’agit d’un « bien qu’apporte une femme en mariage ou une religieuse entrant au couvent. La dot se dit aussi des apports du mari ». Il n’y a cependant pas d’autre mot plus proche pour exprimer cette réalité de la culture. En Afrique, la dot a un sens surtout symbolique. Elle constitue à la fois la compensation entre deux familles, la trace d’échanges, la preuve de l’amour du fiancé et des sacrifices qu’il est prêt à consentir pour vivre de façon harmonieuse avec celle qu’il a choisie.
La culture burundaise incarne ce sens africain. La dot a une grande importance coutumière dans le mariage par sa signification et par son rôle juridique par rapport à la femme et aux enfants. Elle assure le maintien des liens matrimoniaux et le bonheur du foyer comme le montre l’article « Famille et tradition au Burundi » de Magnus Ntakirutimana publié dans la revue Population et développement : « Sans la dot, les enfants n’appartiennent pas de plein droit à leur père. La femme placée dans cette situation pouvait, en cas de désaccord grave avec son mari, abandonner ce dernier sans risque de poursuite. Si elle inspirait confiance à ses enfants, ceux-ci pouvaient la suivre ». Dans ce sens, les gages matrimoniaux symbolisent l’union entre les deux familles, le témoignage de la validité du mariage et la garantie de la stabilité de ce dernier. L’institution de la dot implique également des valeurs économiques et sociales dans le sens où elle règle la question de l’héritage et renforce de plus belle les liens d’amitié et de solidarité qui naissent entre les familles alliées par le mariage.
Une tradition qui a ses tares
Dans la culture burundaise, la dot se payait en nature : vaches, houes et bijoux. Depuis un certain nombre d’années, le paiement s’effectue en espèces. Aujourd’hui, la dot perd de plus en plus sa fonction de témoin et de titre de mariage. Sa signification et son importance s’orientent vers le sens d’une valeur économique et commerciale. La conception de l’inkwano a évolué et a passé subitement au statut de l’agashimwe (qui peut être traduit aussi à tort comme « cadeau/prix » ). Il n’est pas donc rare d’entendre dire : « Mbega umukobwa wa naka yakowe bingahe ?» (Quelle est la somme versée pour gagner la main de la fille d’un tel ?) comme si la dot traduisait la dignité. Il semble même que la fille jouit d’une grande estime parmi les jeunes de sa génération dans la mesure où l’agashimwe versée pour sa main est la plus élevée. Par ailleurs, cette agashimwe, qui n’est que l’inkwano qui refuse de dire son nom, contribue d’une certaine manière de maintenir la femme dans une position d’infériorité par rapport à l’homme. Ainsi, surtout en milieux ruraux, les maris en colère contre leurs femmes clament fièrement et à haute voix : « Reka ndagukubite ndakunoze, naragukoye ntiwankoye. Nagukuye mu gisaka ndagushira mu gisagara, none ugiye kunganza !» (Laisse-moi te frapper jusqu’à la moelle, c’est moi qui ai versé la dot et non l’inverse. Je t’ai tirée de la brousse pour la ville et te voilà dressée pour m’acculer à la soumission !).
La mauvaise interprétation du sens traditionnel de la dot conduit de cette sorte certains hommes à la voir comme un prix d’achat à l’étal du marché, surtout quand la somme versée est le résultat d’une certaine surenchère.
La dot dans notre quotidien
Les temps ont changé, les mœurs également. La dot garde toutefois sa valeur prestigieuse dans le mariage. Nous assistons tout de même dans notre quotidien à quelques dérives qui font penser à un renversement des valeurs et des tendances. Des filles fort nanties qui sortent fraîchement de la « diaspora » n’ont pas du temps à perdre dans les détails de la culture. S’agissant d’organiser leur mariage, elles prennent en main la chose ; naturellement sans attirer trop d’attention. Elles s’occupent des préparatifs, le garçon simule uniquement le paiement de l’argent reçu de la fille généralement plus âgée que lui. C’est l’expérience en vogue et elle est géniale puisque c’est le sens premier de la dot dans son usage français ou européen. Elle n’est pas en soi mauvaise, mais elle va contre la culture et la tradition burundaises. Il y a une coutume intéressante observée dans la province de Bubanza : la jeune fille doit offrir du poulet (bien rôti) à l’élu de son cœur, sous le toit paternel. On appelle ça ‘’Kurya inkoko’’. Le repas se consomme à deux ou en présence exclusive des amis du jeune homme. Sans cet apport de la fille, le mariage n’a aucune chance de durer.
La question de la dot est en fin de compte sérieuse et complexe. Faut-il la réviser et proposer un partage des responsabilités entre le garçon et la fille qui se disent « Oui » pour la vie ? C’est la question à un million de dollars.
Abarundi turakwiriye kubona ko hari ubukene inkwano ikahava hagatangwa agashimwe k umuvyeyi.
Il vous faut arrêter de chercher à occidentaliser la culture burundaise, si vous ne voulez pas prendre le MUR!