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Vivre dans le placard : Pierre, deux vies

Lors d’un récent atelier que j’animais au Bénin sur la persuasion, le storytelling et les formats créatifs, un des participants, Abdel, a écrit une histoire poignante. Je lui ai demandé l’autorisation de la publier sur mon blog. Pourquoi ? Au Burundi, les « Pierre » se comptent par milliers. C’est le collègue, l’ami du comptoir, le cousin, le frère, voire le père. Leurs histoires, leurs lourds secrets, ils les emporteront dans leurs tombes, contraints, assignés à jamais à une vie qui n’est pas la leur…

Pierre est un homme qui a tout pour être heureux : une belle femme, deux beaux enfants, un salaire très juteux.

Chaque matin, avant d’aller au travail,  toute la famille partage le petit-déjeuner préparé par l’excellent cuisinier dans une atmosphère conviviale. Au moment de se quitter, les enfants sautent au cou de leur père et la femme l’embrasse. Ils se promettent de s’appeler très vite parce qu’ils se manquent déjà. Le bonheur n’est-ce pas ?

Sauf que : Pierre a un problème depuis qu’il est jeune. Il le sent, il le sait, il a toujours eu le béguin pour le cousin, l’ami, le camarade. L’autre : la cousine, la camarade, la copine n’était qu’une amie, une bonne amie, parfois une confidente, mais jamais plus.

Une fois, Pierre a été surpris avec Jean, son amant d’alors. Après déception, malédiction, pleurs et coups de fouet, ses parents aisés se rendent compte qu’ils ne peuvent pas perdre la face en société. « Cette pratique de Yovo (blanc, ndlr) ne doit pas être importée chez nous, c’est le diable ». Le père s’entend avec un ami haut placé ayant une fille en âge de se marier. L’alliance est forgée. Pierre est condamné. Il doit jouer le jeu ou être déshérité.

Pierre se marie. Il a maintenant une pression constante : la venue des enfants. Il paraît qu’ils constituent le gage du mariage parfait. Il paraît qu’ils renforceront ses liens avec sa femme. Il a la boule au ventre. Ce n’est pas son truc. Il se bourre de pilules érectiles. Il passe à l’acte avec dégoût. Et d’un coup et de deux, le voilà père de famille.

Ces enfants, il leur sourit chaque matin mais ne sent pas que ce sont les siens. Cette femme, il l’embrasse chaque matin mais s’en veut de lui faire perdre du temps car il ne ressent rien pour elle. Et ce cuisinier avec ses manières, ses beaux petits doigts, ses attentions, c’est lui l’homme de sa vie. C’est pour lui qu’il revient plus tôt du travail. C’est lui qui lui donne quelques minutes de bonheur avant l’arrivée de Madame et des enfants.

Alors à la fin de la journée, une question trotte dans sa tête : comment définissons-nous le bonheur dans la société ? Une heure avec le cuisinier ou vingt-trois heures avec la pseudo-famille ?

 

Author

Ras

Critique irrévérencieux, ceux qui s’énervent pour un rien sont priés de passer leur chemin.

9 Replies to “Vivre dans le placard : Pierre, deux vies”

  1. Très ravi de lire ce joli texte, l’hypocrisie, la toxicité de la religion et ces gens qui osent dire que c’est une pratique importée… alors que des couples de femmes existaient avant la colonisation au kenya par exemple.
    Qu’il y ait eu un roi bisexuel en ouganda (à lire ici : https://tetu.com/2016/10/19/ouganda-roi-bisexuel-mwanga-ii/amp/ ), l’homosexualité, la bisexualité, la transexualité : c’est naturel, de tout coeur avec la communauté LGBTQa+ Burundaise, Est-Africaine et Africaine.
    Tôt ou tard le soleil se levera.

  2. Une histoire touchante dont le contenu est en réalité avec ceux qui se passent dans la société

    Donc il faut éviter l’hypocrisie et la mensonge

  3. Je ne sais pas mais après ce texte, je suis en colère très encore contre Pierre oui contre tous ces Pierre, Comment osent ils se plaindre? Qui peut t’imposer de marier une fille alors que tu es un homme adulte? Comment peux tu passer toutes ces cérémonies de mariage, le sourire aux lèvres et oser revenir se plaindre. Cher Pierre, tu as été lâche, tu as eu tous les moments pour partir, le jour de la dot, le jour du mariage, avant que madame tombe enceinte, à la naissance du premier pour limiter les dégâts
    . Si tu n’as pas osé à arrête de pleurnicher et assume.

    1. Quelle audace, lancer la pierre et renvoyer la faute au victime ? As-tu oublié la société dans laquelle on vit ? Il aurait dû s’enfuir pour aller où ? Même sa femme a été choisie par ses parents, donc…

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