Après l’évènement tragique de Ntega et Marangara en 1988, le président Buyoya a nommé un gouvernement « à parité ethnique » pour réconcilier les Burundais. Mais l’unité nationale a probablement échoué à cause de la crise interethnique de 1993.
Pierre Buyoya renverse le président Jean-Baptiste Bagaza le 03 septembre 1987 et prend les commandes du pays. Une année après, pendant la nuit du 14 au 15 août 1988, un évènement tragique survient dans les communes de Ntega (Kirundo) et de Marangara (Ngozi) : le sang coule. Plus de 5 000 personnes perdent la vie (selon les autorités) ou environ 20 000 victimes, selon d’autres sources indépendantes. La crise de Ntega Marangara a constitué un tournant capital dans la manière de prendre en compte les problématiques ethniques. Elle est devenue un point de départ d’un long processus de transition politique. Il fallait assumer les traumatismes et les peurs dont la population burundaise a hérités lors des crises précédentes (les crises de 1972, 1969, 1965). Il fallait aussi accepter l’émergence des nouvelles élites issues de toutes les ethnies et toutes les régions. Avant, l’administration était contrôlée généralement par une seule ethnie et une seule région.
Au moment de la crise de Ntega Marangara, le gouvernement en exercice était mis en place le 1er octobre 1987. Ce premier gouvernement de la 3ème République était composé de 19 ministres dont 12 tutsi et 5 hutu. Mais le 19 octobre 1988, tout change. Le président Buyoya nomme un nouveau gouvernement pas comme les autres. C’était un gouvernement composé de 20 ministres et deux secrétaires d’État, qualifié de « gouvernement à parité ethnique » ou gouvernement paritaire : 10 ministres étaient tutsi et 10 autres étaient hutu. Même les deux secrétaires d’Etat étaient issus d’ethnies différentes. En plus de cela, à côté du président de la République (Tutsi), il y avait le Premier ministre hutu, Adrien Sibomana (il a occupé cette fonction jusqu’en juillet 1993). Avant lui, le dernier Premier ministre hutu, c’était Albin Nyamoya en 1973.
Les Hutu rassurés ?
Cette initiative du président Buyoya s’inscrivait dans le cadre d’apaiser les Hutu en leur donnant certains postes de prise de décision dans le gouvernement. « Ce n’est pas que chez les ministres, même dans d’autres postes notamment au niveau communal, provincial … le président Buyoya a essayé de faire l’équilibre ethnique pour rassurer un peu plus la population burundaise », témoigne Adrien Sibomana. Cet ancien Premier ministre affirme que la notion ou la problématique de l’unité nationale était l’une des priorités du gouvernement paritaire pour essayer de réconcilier les Burundais. Ainsi, la population s’est sentie rassurée notamment les Hutu, mais il n’ignore pas que dans ce genre de changement aussi rapide, tout le monde ne peut pas être convaincu facilement. Certaines personnes avançaient l’idée que ce gouvernement mis en place n’était qu’une stratégie de se voiler la face.
Malgré tout, M. Sibomana affirme que son gouvernement a fait beaucoup de réformes, notamment les mesures de libéralisation de l’économie, la venue de la démocratie, la transparence, etc. Par exemple, les élèves de la 6ème année de l’école primaire se plaignaient d’un manque de transparence dans l’organisation du concours national qui donne accès à l’école secondaire. Les écoliers n’avaient pas accès à leurs copies (les notes). « Nous avons autorisé les élèves à consulter leurs notes après la correction du concours national et réclamer s’il le faut. Cela pour rassurer les lauréats. Avant, ça ne se faisait pas ainsi », affirme M. Sibomana.
L’unité nationale a-t-elle échouée ?
Même si le gouvernement paritaire mettait en avant la notion d’unité nationale, par ailleurs, par voie de referendum, la Charte de l’unité nationale a été votée le 05 février 1991. Mais dans les faits, l’union entre les Burundais était discutable. Deux ans plus tard en 1993, le Burundi a sombré dans la guerre civile ou interethnique après l’assassinat du président démocratiquement élu Melchior Ndadaye. On dirait que l’unité nationale a échoué. A ce sujet, M. Sibomana compare le processus d’unité nationale à un véhicule qui roule à grande vitesse, ne pouvant s’arrêter brusquement, il ralentit progressivement : « Si le processus d’unité nationale n’avait pas eu lieu, le Burundi serait rayé peut-être de la carte du monde », estime l’ancien Premier ministre. L’idéal, c’est l’unité nationale, mais l’unité parfaite n’existe pas.