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« France, Sénégal, Russie » : des étudiants burundais témoignent sur leur vie à l’étranger

Si les étudiants africains rêvent de continuer leurs études à l’étranger, tous appréhendent cette nouvelle vie loin des leurs. Entre nostalgie, nouvelles responsabilités et amitiés pas toujours évidentes, trois blogueurs de Yaga évoluant (ou ayant évolué) à l’étranger nous racontent leurs  expériences.

Ivan Corneille Magagi : « Paris, ce n’est pas que la tour Eiffel »

 

Quand les gens témoignent que la vie à l’étranger est exténuante, on les prend souvent pour des parvenus qui font genre. Leurs snaps et autres publications sur les réseaux sociaux semblent nous dire le contraire, et tu as l’impression qu’ils se la coulent douce, jusqu’à ce que tu vives cela de toi-même, et tu te rends compte qu’en vrai, faire des études loin de chez soi, c’est un peu plus la galère que la fête.

Un début qui déchante vite

À ton départ, les proches te font quelques conseils pour te rassurer, comme si cela pouvait suffire. Quand tu arrives à destination, tu as probablement la plus grande somme d’argent que tu aies eu à gérer. Tu te dis que tu peux te permettre une bière par-ci, un jean par là. Tu vois que les choses coûtent plus cher qu’au Burundi – comme un coiffeur à 12 euros ( plus de 30 000 Fbu) par prestation. Mais tu te dis que c’est ta nouvelle vie, que tu dois te fondre dans la masse. Le baptême de feu, c’est quand ta besace se vide un peu plus tôt que prévu. Tu perds la tête, et je t’assure, cela t’arrivera tôt ou tard. Que tu aies une bourse confortable ou que tu dépendes de ta famille, à un moment donné, tu auras des soucis d’argent. Et il n’y aura pas forcement de boutiquier à côté pour t’avancer les provisions pour tenir une semaine de plus. Ce n’est pas de ta faute si tes parents ne t’y ont pas initié plus tôt !

Une intégration pas toujours facile

Au Lycée, tu étais bon en langues, à l’oral comme à l’écrit. Et maintenant tu ne peux même pas suivre le fil d’une discussion, tellement les mots vont vite avec des expressions qu’aucun de tes professeurs n’avait eu à prononcer. Imagine alors si tu dois apprendre une nouvelle langue, te faire des amis devient du coup aussi compliqué. Tu ne comprends rien à leur sens de l’humour et tes blagues les vexent tout le temps. Et puis le rythme de travail à la fac ne te laisse pas respirer. Tantôt, tu prépares un concours où ne seront reçus que moins de 10% des candidats à la fin de l’année. La famille et les amis se plaignent comme quoi tu leur consacres moins de temps… Le comble, ta relation amoureuse bat de l’aile. La distance, le décalage… Tu réalises ta solitude.

Depuis ton arrivée, la monnaie burundaise s’est peut-être beaucoup dépréciée, ou ta famille ne peut plus couvrir tes dépenses. Les plus chanceux pourront essayer de trouver un petit boulot peu gratifiant. Cela implique travailler plus et étudier beaucoup moins. Et quand tu rentres moulu, il n’y a pas ta famille pour te dorloter. Il y a plutôt le concierge qui te réclame le loyer et déverse toute la frustration de sa journée sur toi. L’abandon guette, c’est ton épée de Damoclès.
Comment s’en sortir ?

Ce serait trop facile s’il y avait un manuel pour répondre à la question. Les moments de dépression et de doute sont un passage forcé. Il faut du courage, de la maturité, beaucoup de discernement, et de motivation. Tu ne peux plus compter que sur toi et ton projet. Et si tu n’as pas de projets ou si tu le perds de vue, autant dire que tu pourrais louper toute ta vie. Aussi dur puisse cela paraître, faire des études à l’étranger, avec une meilleure qualité d’enseignement et éventuellement plus d’opportunités (travail, longues études, formation en langues…) reste le rêve de milliers de jeunes, et c’est tout à fait faisable. Maintenant que tu es averti, armes-toi de discipline et du sens de responsabilité, car un seul vol te fera passer du côté des adultes. Et le changement est trop brutal.

Monia Bella Inakanyambo : «Au Sénégal, je suis une toubab (occidentale) noire »

 

© Wikimedia

J’avais toujours pensé qu’aller étudier hors du Burundi doit être « cooooooool ! » Oui, c’est drôle, je sais (Que celui qui n’y a jamais pensé me lance la première pierre). J’avais même des plans tout faits : apprendre la cuisine, voyager beaucoup, découvrir de nouvelles choses, s’essayer à de nouvelles langues, goûter aux nouveaux plats, avoir beaucoup plus d’opportunités, me faire pleins de nouveaux amis. Je n’ai pas été désillusionnée, après coup. Mais je dois confesser que j’avais juste calculé le côté face, pas le côté pile : la distance avec mon pays.

Pour ce qui me manque, j’ai l’embarras du choix. Chaque fois que je célèbre les fêtes de fin d’année, je me sens encore plus loin des miens. Et franchement, en des moments censés être joyeux, une grande tristesse empiète sur ma joie. Je sais alors que je n’aimerais être nulle part ailleurs que chez moi, près de mes parents, de mes sœurs, de mon frère, de mes amis. Ils me manquent atrocement. Et puis, il y a les fêtes tout court. Vous savez bien, ces fêtes des weekends de Bujumbura (ou mieux, imanza zo mu ci  (les cérémonies d’été): ces levées de voile, levées de deuil, ces mariages, ces dots,…) qui vident les poches de tout le monde, et cassent la tête au passage. Je vous jure, tout ce tralala me manque.

Oh ! Et puis, il y a la bouffe. Ha ! Moi qui croyais que ces Burundais qui repartent du Burundi avec des valises pleines de ndagala, uburobe, fromage, ibiharage, igitoke, jouaient à la comédie ! J’ai honte aujourd’hui de m’être moquée d’eux. Oh, mieux que ça ! Quand à midi je rentre chez moi sachant que si je ne cuisine pas, je ne mangerai pas, je vous assure que je regrette de ne pas être chez moi (en passant, je cuisine comme un chef maintenant. Ma mère ne me croît pas, évidemment !)

Il y a également ces moments où je me sens malade. Mais je lutte, comme si se permettre de l’être était un crime. C’est instinctif, je sais que je dois être forte, c’est tout. Il y a ensuite ces jours où je broie du noir : ça doit être ça, le mal du pays. Ça fait un mal de chien.

Je ne sais pas si ce qui fait le plus mal, c’est de me faire rouler ou de me faire traiter de « toubab noire », parce que je parle français. Les prix peuvent facilement tripler, les gens prennent du plaisir à dire du mal de vous en vous souriant. De petits cauchemars de rien du tout qui peuvent facilement vous remettre le moral à zéro.

Et les questions du genre : « Ah ouais ? Burundaise ? Du Burundi ? C’est dans quelle partie de l’Afrique déjà ? Ah ok ! Tout près du Rwanda… Et tu es hutue ou tutsie ? » (Je vous garantis qu’ici les gens se permettent ce genre de questions. Il n’y a aucun mal à parler des appartenances ethniques). Mais le pire, c’est que je suis sans cesse prise en pitié, comme quoi je viens d’un pays où règne la violence. Comme si sur mon front c’était écrit en gras « Rescapée ». Bon, sur ce coup, c’est pas grave. Moi-même j’ai toujours cru que tous les Sénégalais étaient tous bijoutiers. Évidemment, j’étais très loin du compte, mais on est quitte ! (hahah)

Mais en fin de compte, vivre loin de chez moi m’a fait beaucoup de bien. J’ai énormément gagné en amitié. De vrais amis que je considère au final comme ma famille. Je crois aussi que toutes ces expériences m’ont grandi et rendu plus mature. Je sais ensuite que j’ai de la chance d’être dans un beau pays comme le Sénégal. Dans la belle et paisible ville de Saint-Louis.

Aujourd’hui, je crois que je suis ce qu’on appelle ‘un patriote’. J’aime mon pays. Vraiment. Et je comprends mieux le sens de la phrase, « on n’est jamais mieux ailleurs que chez soi ». Et j’adore encore plus ma langue, le kirundi. Tellement que quand quelqu’un me prend la tête, je lui parle en kirundi pour me défouler. Je leur sors des ‘ndagusavye ntumene umutwe’ gentiment. Ils croient que je me fous d’eux. Bon après, j’avoue que c’est un peu ça mon intention.

P.S : Le climat du Burundi est une merveille ! Si vous ne me croyez pas, sortez de là, vous verrez. Ou allez-y, vous n’en reviendrez pas.

 

Jean-Marie Ntahimpere : «En Russie, ce n’est pas la vodka qui rend les gens fous »

 

©Michael Siebert

En février 2007, quand j’ai appris que j’avais une bourse pour la Russie, c’était la panique. Fallait-il y aller ou pas ?

J’avais entendu des histoires les unes plus surréalistes que les autres sur le pays de Vladimir Poutine. On disait que ceux allaient y étudier devenaient fous, qu’on leur donnait de l’alcool qui endommageait leur cerveau, que si jamais j’y allais, il ne fallait jamais, jamais boire une goutte d’alcool.

Heureusement ceux qui me disaient cela n’étaient jamais sortis des frontières du Burundi. Ils ne savaient pas de quoi ils parlaient. Ça me rassurait ! Par contre, je connaissais des gens avec qui nous avons fait le secondaire à la même école, et qui, à ce moment-là, étudiaient déjà en Russie. Je les bombardais de toutes sortes de questions par e-mail : « Est-ce vrai qu’on vous drogue ? Est-ce vrai qu’on tue les Noirs dans les rues ? »

Ils faisaient tout pour me tranquilliser. J’ai décidé d’y aller. C’était une opportunité qui n’était pas à la portée de tout le monde, et il était hors de question de la rater.

On m’envoya dans la ville de Rostov-na-Donu, dans le Sud de la Russie. J’y ai retrouvé une vingtaine de Burundais, dont trois que j’avais déjà connus au séminaire de Buta. Comme tout Burundais qui se respecte, ils nous accueillirent avec des bouteilles de bière. Au début, nous prétendions que nous ne boirons pas, mais quand nous avons vu tous les autres Burundais trinquer, nous avons vaincu nos peurs et nous avons même testé la fameuse vodka, dont on avait tant diabolisé. Pendant les six ans que j’y ai passés, je n’ai jamais vu les Russes nous obliger de boire quoi que ce soit, contrairement aux rumeurs qui circulaient au Burundi.  

Mon expérience en Russie a été très enrichissante. J’y ai étudié avec des gens de tous les continents et de toutes les couleurs, de toutes les langues et de toutes les cultures. A part les Russes, il y avait des Albanais, des Angolais, des Congolais, des Colombiens, des Nigérians, des Sénégalais, des Palestiniens, des Vietnamiens, des Chinois, des Indiens, des Mongols, etc. Cet environnement international me plaisait bien et m’exposait à d’autres cultures qui éveillaient ma curiosité.

L’environnement universitaire était calme. Les enseignants étaient en grande partie compétents et gentils. Ils ne faisaient aucune discrimination entre Russes et étrangers. En tout cas je n’ai jamais regretté ma décision d’aller étudier en Russie.

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Les commentaires récents (5)

  1. hahahhahah pole sana Monia « Oh ! Et puis, il y a la bouffe. Ha ! Moi qui croyais que ces Burundais qui repartent du Burundi avec des valises pleines de ndagala, uburobe, fromage, ibiharage, igitoke, jouaient à la comédie ! J’ai honte aujourd’hui de m’être moquée d’eux. Oh, mieux que ça  » les gens prennent du plaisir à dire du mal de vous en vous souriant. De petits cauchemars de rien du tout qui peuvent facilement vous remettre le moral à zéro. meme galere qu ici!! c est ca partir loin …

  2. Super article!!! J’adore! J’ai ri, presque pleuré en reconnaissant les mêmes défis auxquels j’ai dû faire face en Allemagne: le froid (pas seulement dehors, les gens aussi), la langue (jongler tous les jours entre le français, l’anglais et l’allemand, tout en rêvant en Kirundi est un véritable exercice d’équilibrisme), la nourriture (on veut changer de régime et cuisiner autre chose que les haricots mais après deux heures on a déjà faim), la culture, le rythme fou des cours (J’ai fait l’UB et parfois les grèves me manquaient terriblement), etc. Mais on tient bon le coup et le fait de savoir que les autres là-bas (où le soleil se lève presque tous les jours à 6 heures pour se coucher 12 heures après), croient en toi et pensent que tu t’en sortiras en est pour beaucoup. Merci aux bloggeurs et à Yaga!!!

  3. Merci pour cet article. Je me reconnais dans chaque phrase. Lorsqu’on vit loin de la famille et des amis on a souvent la nostalgie dans les premières années. Après plusieurs années à l’étranger, j’ai appris à vivre avec des nostalgies. Ce qui est encore plus difficile c’est de voir les photos, les vidéos lors des fêtes de famille où on était supposé être présent. Les cousins qui grandissent si vite qu’on les confond.