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Opinion | Vers l’érection d’un éléphant blanc sur le site de l’ancien marché central ?

Mardi 30 juillet. Lors de l’ouverture de la session dédiée à la diaspora en province de Kayanza, l’homme d’affaires Fablice Manirakiza, connu au Burundi dans la promotion de projets immobiliers, a plaidé auprès du chef de l’Etat pour que la construction de l’ancien marché central de Bujumbura soit confié à la diaspora. L’intention est bonne mais quelques interrogations subsistent.

 18h45. Je lis depuis le matin. Je suis abattu mais il m’est impossible de jeter l’éponge. Je prépare un examen très crucial pour la suite de ma recherche. Pour me distraire un peu, je scrolle sur mon compte X (ancien twitter) entre deux lectures. Les informations sur mon pays m’intéressent particulièrement. C’est que je tiens à ma patrie comme à la prunelle de mes yeux. Par hasard, je tombe sur le compte de Fablice, un jeune dont les projets dans le domaine du bâtiment dans la ville de Bujumbura forcent l’admiration.

Décontracté. Lunettes de soleil sur la tête. En présence du chef de l’Etat, Fablice Manirakiza promet de faire sortir des décombres de l’ancien marché central de Bujumbura, avec la contribution de la diaspora dont il martèle le « potentiel exceptionnel », un joyau d’au moins 1000 échoppes.

En réalité, l’idée est bonne. Nous devrions appréhender l’impuissance, plutôt la passivité de tout un pays pour remettre à flot une infrastructure pourvoyeuse de plusieurs milliers d’emplois et d’impôts considérables, soit « un cinquième du PIB national », comme une honte nationale. En effet, si l’onde de choc de la crise politique de 2015 a précipité l’économie burundaise au bord du gouffre, il convient de situer la première grande fissure à l’incendie du marché de Bujumbura deux ans plus tôt. Ainsi, la mise en œuvre d’un grand projet pour laver cette honte nationale me paraît une providence.

50 milliards BIF. C’est le budget que Fablice compte utiliser pour doter Bujumbura, capitale économique, d’un marché central. Selon ses dires, il ne doute pas de la possibilité de mobiliser ce montant particulièrement au sein de la diaspora burundaise. Il indique avoir réalisé une étude dont les retours sont encourageants.  « J’ai récemment effectué une tournée aux Etats-Unis d’Amérique et au Canada. J’ai pas mal d’amis et je le leur ai présenté », déclare-t-il. Fablice affirme ensuite qu’il est possible de réunir la somme prévue pour ce projet en seulement deux mois calendrier.

C’est à la mention de cette échéance que je tique. Elle me semble tellement courte. Depuis cinq ans, je vis à l’étranger, tout à tour en Europe et en Amérique du Nord. Petit à petit, je me suis fait une idée du poids de la diaspora burundaise par rapport aux ressortissants d’autres pays, en particulier les pays du Maghreb, de l’Afrique de l’Ouest, d’Inde, de Haïti, etc. En réalité, elle est numériquement moins importante, très divisée et elle n’est pas aussi fortunée que Fablice semble le faire croire.

Emphytéose de 20 ans

Dans ses propos, le jeune homme d’affaires, applaudi par intermittence par l’audience, fait savoir que les actionnaires réunis en une entreprise devraient exploiter ce marché pendant deux décennies. Cependant, la suite de son propos me fait tomber de ma chaise. Selon lui, il sera possible, pour les actionnaires, de se faire rembourser les 50 milliards BIF d’investissements auprès des occupants des 1000 échoppes dans seulement trois ans.

Pour les 17 ans restants (il fait un lapsus languae, puisqu’il parle de 18 ans), Fablice lâche : « L’actionnaire qui aura participé dans la réalisation du projet sera en train de rentrer des dividendes ». En réalité, financer un projet d’intérêt public, qui te permet par conséquent d’accéder à des subventions de toutes sortes, puis prétendre jouir de l’usufruit de l’ouvrage pendant 20 ans alors que l’exploitation permet le remboursement des investissements en trois ans, c’est de l’ultra néolibéralisme 2.0. J’imagine que même une banque, dont la mission première est en principe de fructifier l’argent sans vraiment se soucier du sort de ses clients, ne chercherait pas à les saigner à blanc aussi longtemps si elle travaille dans les conditions normales. En comparaison, la SOGEMAC était chargée de la gestion de l’ancien marché central de Bujumbura sur une période de 30 ans. Il n’aura pas échappé aux lecteurs que la gestion n’inclut pas la jouissance (usufruit) dont il serait question dans le cas du projet de Fablice.

Un marché COTEBU bis

Plus inquiétant encore, si son projet était exécuté tel que vendu au président de la République, il ne ferait qu’ajouter à l’appauvrissement des Burundais. En réalité, le projet vise une privatisation à outrance d’un bien public. « Chaque pièce va générer mensuellement 800 mille BIF, voire un million BIF si on tient compte des frais d’occupation (loyer) en vigueur dans la ville de Bujumbura», annoncera Fablice plus loin. Or, un emplacement dans l’ancien marché central coûtait à son occupant moins de 50 mille BIF, ce qui explique en quoi il était un bien public. Exiger le montant d’un million par mois à un commerçant dans un marché d’approvisionnement pour les autres marchés du pays, c’est de l’utilitarisme pur et simple. Celui-ci entrainerait des conséquences dont il convient d’appréhender le coût  à l’avance : un marché accessible aux privilégiés.

Le marché central de Bujumbura parti en fumée en janvier 2013 avait à peu près 3 000 stands connus officiellement mais il était le gagne-pain pour au moins 7 000 commerçants. Le projet de Fablice devrait en compter seulement un millier. Quid de cette différence ? Dans une telle configuration, le projet ne diffère en rien des galeries dorénavant parsemées dans la ville de Bujumbura. Pour rappel, ces dernières ont poussé comme champignon et en désordre après l’incendie du marché central de Bujumbura. Il s’avère important d’en étudier les implications sur la concurrence sinon il est possible de reproduire un marché de COTEBU bis.

En conclusion 

La construction d’un marché central de Bujumbura, capitale économique, qui devra faciliter et promouvoir les échanges commerciaux dans le pays, est une nécessité. Toutefois, il est important de garder à l’esprit que toute précipitation ne sera qu’une nouvelle perte dont les conséquences frapperont les générations actuelles et futures sur de nombreuses années. Il est important que le gouvernement fasse diligenter des études sérieuses et pluridisciplinaires et qu’il respecte les procédures normales d’octroi des marchés d’intérêt public. De manière générale, les investisseurs privés ne font pas de bons défenseurs de l’intérêt général.

Les intentions peuvent être bonnes mais si les modalités de financement, d’exploitation, de remboursement dans une durée juste, ne sont pas bien définies au préalable, en tenant en considération d’un éventail de facteurs (contexte, pouvoir d’achat des destinataires du projet, etc.), le projet a moins de chance de réussir.

Avant de me replonger dans mes lectures, une idée me vient subitement en tête : Et si le gouvernement leur cédait une part des actions dans l’importation des carburants ? Les 50 milliards BIF qui pourraient être mobilisés en deux mois, c’est au moins 17 millions de dollars américains sur le taux officiel. Animés d’un sentiment de fierté patriotique, ils devraient se donner plus de temps, une année au moins, pour mobiliser au moins 200 milliards BIF, c’est-à-dire à peu près 70 millions dollars américains, presque un quart du budget annuel en vue de l’importation des carburants. D’après PARCEM,  le budget total annuel alloué à ce secteur en 2022 était de 300 millions de dollars américains.

Ils n’auraient pas de monopole, n’attendraient pas non plus des années pour faire de l’argent et par-dessus tout, le Burundi entier leur serait reconnaissant. Ils auraient sauvé de l’asphyxie une économie confrontée à des chocs multiples. Et pour cause, les membres de la diaspora sont payés en devises et le pays en a tant besoin.

 

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Les commentaires récents (6)

  1. C’est enrichissant et élève mon cœur. Un projet d’envergure comme celui-là, où des années passent sans action, une fois effectué, c’est vraiment une élévation du PIB national.

  2. Ta reflection est bonne mais dans la conclusion tu as mis quelque chose Aller faire une peu de lecture sur les principes de l’économie ( Investissement et Pérennité)

  3. Du texte, je retiens ce que j’avais déjà en tête : diaspora divisée et donc impossibilité matérielle de réaliser un projet d’une telle ampleur. La seconde chose est la démission visible des services publics pour remettre sur pied un projet d’importance capitale et le mettant dans les mains d’une privatisation qui, à évidence, met en avant le profit sans se soucier de l’intérêt des petites gens.
    Enfin, des idées patriotes ressortent de la proposition du monsieur qui, me semble-t-il n’a pas l’aval de cette diaspora dont il vante les capacités, mais semble nous cacher un autre aspect, celui de la participation de l’État burundais, par exemple dans la subvention de ce projet par l’abandon de certaines taxes douanières sur les importations et autres avantages dont impôts divers qui seraient sûrement accordés sur les services pendant et après l’exécution du projet. Et comme les burundais ne croient plus en la mane du désert, ils serait surprenant que ce projet soit réalisé uniquement par le seul monsieur et sa diaspora sans que certains dignitaires locaux et autres « Ndimwo » ne s’approprient d’une bonne partie des actions.-

  4. Baddy. Ce ne sont pas les éléphants blancs dont nous avons besoin mais le carburant dont la pénurie a fait grimper les produits de première nécessité