On aime répéter qu’un enfant qui parle est déjà à moitié sauvé. Mais encore faut-il lui laisser l’espace, le droit, et surtout le désir d’ouvrir la bouche sans craindre qu’on la referme à sa place. À force d’éduquer à coups d’ordres et de verdicts, on oublie parfois d’écouter. Pas d’entendre, non. D’écouter vraiment. Pour découvrir qui ils sont, ces enfants qu’on croit connaître parce qu’ils portent notre nom.
Dans le pays du bavarde moins, obéis plus, parler avec ses enfants ressemble parfois à une mission diplomatique sans traducteur. Chez nous, les adultes parlent. Les enfants, eux, acquiescent. Ou font semblant.
Ils racontent à leurs amis ce qu’ils n’osent pas dire à la maison. Parce qu’ils savent que chez nous, parler rime souvent avec correction.
Parce que chez nous, dire ce qu’on ressent, c’est risquer de déranger. Parce que chez nous, oser poser une question devient vite un manquer de respect.
Ce n’est pas un procès
Mais pendant ce temps, les parents posent toujours les mêmes questions : « Utaha ryari ? » (Tu rentres à quelle heure ?) ; « Wariye ? » (As-tu mangé ?) ; « Ko ucecetse ? »(Pourquoi es-tu si silencieux ?).
C’est ce qu’on appelle souvent parler à ses enfants. Mais en vérité… on ne parle pas. On vérifie. On contrôle. On remplit des cases.
Parler, c’est aussi nager à contre-courant
Dans les familles burundaises, on ne parle pas beaucoup. On devine. On interprète les silences, les sourcils froncés, les soupirs trop longs. On grandit dans une mer de non-dits, entre des gestes codés et des regards trop lourds pour les petites épaules, une porte claquée un peu trop fort.
On n’a pas appris à poser des mots sur le sexe, l’amour, les émotions. Ces choses appartiennent aux adultes. Et on les apprend par accident, ou trop tard.
Les vrais confidences se construisent sans ponts. Pas avec des sermons, mais avec des soupirs partagés, des silences qui écoutent, des rires maladroits mais sincères.
On parle des vraies choses. Pas avec gravité, mais avec humanité : des règles qui font mal, des amitiés qui blessent, des rêves qui dévient. Des envies d’être artiste, là où on espérait un médecin.
Souvent, les vraies discussions n’éclosent pas au salon. Elles naissent dans une cuisine, entre deux poignées de riz à trier. Sur le chemin de l’église, quand les mots tombent comme des graines. Dans un bus bondé, à la faveur d’un souffle. Ou le soir, à la veillée, entre une blague sur un cousin.
La parole ne se commande pas…
…elle s’invite. Elle aime les détours, les paraboles, les proverbes. Elle a besoin de tendresse. D’humour. D’un soupçon de kubesha, ces petits mensonges gentils qui rendent la vérité moins brute.
Si tu veux parler avec ton enfant, ne commence pas par une leçon. Commence par une histoire. Pas celle où tu brilles. L’autre. Celle où tu tremblais dans le noir. Où tu as menti. Où tu as échoué. Où tu t’es senti invisible.
Et puis, regarde-le. Écoute. Vraiment. Ne corrige pas. Ne juge pas. Pas tout de suite.
Laisse-le venir à toi. Laisse-le dire. Laisse-le être. Parce que ce que l’enfant ne dit pas à ses parents, il l’écrit dans le carnet muet de son silence. Et ce silence-là, un jour, devient distance. Ou mur.
Alors parle. Même si ta voix tremble. Même si tu ne sais pas comment. Parle, comme on ouvre une fenêtre dans une pièce étouffante.
Et surtout, écoute. Parce que parler avec son enfant, ce n’est pas lui dicter la vie.
C’est lui offrir un refuge. Une mémoire. Une promesse.