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La CVR et la mémorialisation, peuvent-elles faire bon ménage ?

Depuis quelques temps, les processus de mémorialisation sont devenus le cinquième pilier de la justice transitionnelle. C’est un pilier transversal, car sans mémoire, il ne peut y avoir ni droit à la vérité, à la justice et aux réparations, ni garanties de non-répétition. Peut-il se greffer sur le processus de justice transitionnelle en cours au Burundi ?

Avec le travail actuel de la CVR, est-il opportun d’évoquer un cinquième pilier de la justice transitionnelle ? Déjà, sur les quatre piliers de la justice, la CVR burundaise ne travaille que sur les trois. La justice semble sacrifiée sur l’autel du pardon. Et sur les trois restants, elle n’a pas encore avancé. Elle demeure sur la recherche de la vérité avec l’exhumation des ossements des victimes.

 En se laissant guider par l’incrédulité, admettons que la CVR pourra un jour intégrer la mémorialisation dans son cahier des charges. Une décision qui serait, d’ailleurs, très salutaire, car les Burundais vivent une mémoire très dichotomique : « On dirait qu’il y a une ethnie qui se plait à revendiquer un statut sempiternel de victime. », a un jour fait remarquer le défunt Prof Gerard Birantamije. Il suffit de voir les commémorations des différentes dates tragiques pour s’en rendre compte.

Une mémoire non encore maîtrisée

 Avant l’arrivée du Cndd- Fdd au pouvoir, les commémorations rappelant les massacres des hutus étaient muselées, étouffées et occultées. Ce sont les massacres des tutsis comme celles des déplacés de Bugendana de 1996 et des élèves de Kibimba de 1993 qui étaient mis à l’honneur. Et aujourd’hui, place aux victimes hutus : la commémoration des massacres de 1972, de celles des étudiants hutus de l’Université du Burundi de 1995 ont pris la relève. Pour ces derniers, un monument a été érigé en leur honneur au campus Mutanga. Une réhabilitation juste, d’autant plus que les élèves de Kibimba (Tutsi) y ont aussi eu droit. Malheureusement, pour les proches des disparus de Kibimba, ils ne sont plus autorisés à se recueillir sur le lieu des massacres dit « Kwibubu » ces derniers temps. Cette interdiction a apporté de l’eau au moulin aux détenteurs de la thèse d’une revanche d’une mémoire « hutisante » sur celle « tutsisante » en marche. 

Faire coexister les différents récits et interprétations des souffrances des Burundais, essence même du cinquième pilier de la justice transitionnelle, est un exercice à auquel la CVR devrait se prêter. En agissant ainsi, elle va barrer la route à la « tyrannie de la mémoire » ou à la « mémoire vengeresse ». Non seulement, elle contribuerait à l’édification d’une société réconciliée, mais aussi sa légitimité en sortirait renforcée. Tzvetan Todorov, intellectuel franco-bulgare, estimait que le culte de la mémoire abusive rend le peuple prisonnier du passé. En revanche, il affirmait que les événements révolus devraient servir d’exemple et être au service du présent et de l’avenir. Au nom des générations futures, que la CVR fasse la gestion des mémoires une priorité. Sa gestion calamiteuse par les anciens régimes a conduit le Burundi dans l’abîme. 

 

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