A côté des études faites sur le sujet, un projet de loi (qui dort depuis des années dans un tiroir du Parlement) a même été proposé pour un traitement équitable des femmes et des hommes en ce qui est de l’héritage. Les féministes ont beau sortir la grosse artillerie le 08 mars, mais toujours, elles se heurtent au mûr inébranlable qu’est la tradition. Mais qu’en pensent justement les hommes ?
Il est de bon ton de parler de la condition féminine pendant la semaine leur dédiée. Les médias profitent de cette opportunité pour rappeler que la société patriarcale est injuste, que la femme mérite du respect et tout le reste, et ils ont raison. Tout le monde se découvre la fibre féministe, le temps de la fête, et « aux ailes du temps » les bonnes intentions s’envolent. Il y en a même qui commence à se lasser de l’existence et de la pertinence de la journée mondiale des femmes. Mais laissons cela de côté car, c’est une réalité, la femme burundaise est injustement traitée quand il s’agit de la propriété foncière. Cela est d’autant plus paradoxal que les femmes et les filles constituent la majorité de la population burundaise. C’est encore plus paradoxale quand on sait que l’agriculture concerne plus de 90% de la population burundaise et que ce sont plus de 55,2% des femmes qui la pratique, Cela veut simplement dire que si elles ne sont pas propriétaires, elles servent de main d’œuvre, ce qui impacte sur l’économie du pays, ce ne sont pas les économistes qui me contrediront. Mais qu’en pensent la gente masculine qui a tendance à raser le mur durant cette période où les féministes prennent d’assaut l’espace public ?
L’héritage, pomme de discorde
Nous sommes un groupe de copains. Nous entamons une discussion sur tout et n’importe quoi. Face au flot d’infos qui déferle sur internet concernant la « fête des femmes », impossible d’ignorer le sujet. Je décide de jeter le pavé dans la marre. « Les gars, vous pensez quoi de l’héritage de femmes ? Pourquoi est-il si problématique ». Un petit moment de silence. C’est Mélance* (30 ans) qui prend la parole le premier. Il explique que finalement c’est plutôt compliqué à cause de la tradition. Bien plus, si la femme a le droit d’hériter, c’est en fait son mari peut-être qui viendra réclamer sa part dans la belle famille, ce qui lui semble plutôt délicat. Un autre problème auquel je ne m’attendais pas du tout concerne la dot. En fait quand on donne la dot, c’est comme si on acquérait le droit sur sa femme, pour ne pas dire acheter. Il y a cette vague impression qu’une fois dotée, la fille abandonne ses racines ou ses attaches familiales pour appartenir entièrement et complètement à sa belle famille. C’est alors impensable de vouloir revenir acquérir d’autres droits sur la propriété foncière. Mélance me jette à la figure un autre paradoxe qui avait jusque-là échappé à mon attention : les femmes ont le droit de venir battre campagne et se faire élire chez elles ou là où elles sont mariées (ou établies) mais n’ont quand même pas le droit d’hériter. Aberrant, direz-vous ?
« Quand les filles vont entrer dans la danse, ça va être la bagarre »
Mahoro*, 26 ans est boutiquier à la 6ème avenue de Nyakabiga. « Héritage des filles ? Il y avait déjà des querelles entre les frères, quand les filles vont entrer dans la danse, ça va être la bagarre ». Il reconnaît que les filles doivent avoir « quelque chose »,mais pas une part égale à celles des garçons. Il concède une exception quand même. La fille qui ne se marie pas et reste à la maison pourrait avoir les mêmes prétentions que ses frères. La sentence vite prononcée, Mahoro retourne à ses clients.
Charles*, 27 ans, est étudiant en master à l’université du Burundi. Pour lui, la loi sur l’héritage doit être élaborée avec prudence. « On ne change pas une mentalité millénaire par un décret. Les revendications des femmes sont légitimes, le législateur doit se montrer assez intelligent pour concilier les intérêts des parties prenantes ».
Uzumaki (pseudo) est un journaliste burundais, juriste de formation. Il a des idées claires (révolutionnaires, devrais-je dire) sur l’accès de la femme à la propriété foncière. « Un peu d’évolution sur la question ne ferait que du bien, précisément dans les milieux ruraux. Je pense que certains chamboulements dans la façon de faire pourraient être bénéfiques sur le long terme ». Selon ses dires, on part souvent du fait que les femmes, au moment où elles vont se marier, deviennent des membres de la famille du mari. Mais dans les faits, si le mari meurt, elles sont gentiment (ou pas) congédiées ou encouragées à retourner dans leurs familles. L’équité rapporte plus sur le long terme. « Ne nous fermons pas à l’évolution, mais adaptons notre compréhension de la dimension genre et de ce que qu’on peut y gagner », souligne-t-il
Pour rappel, selon le recensement de la population de 2008, sur 80,2% des propriétaires fonciers, seules 17,7% étaient des femmes contre 62,5% des hommes.
* : nom d’emprunt