Dans quel livre peut-on s’enquérir de la culture burundaise ? Dans quel coin trouver, gravés, les contes de Samandari et d’Inarunyonga racontés par nos grands-mères ? Tout est légende. L’auteur burundais est là, pourtant, il est méconnu.
À l’alliance Franco-burundaise, s’est tenu au mois de novembre dernier, à l’intention d’un club de français du grand Séminaire de Gitega, un café littéraire animé respectivement par l’abbé François Xavier Ntirampeba et M. Joseph Mukubano, professeur à l’université du Burundi. À l’honneur : la littérature burundaise. Le point de mire du débat n’était pas la production littéraire propre au Burundi mais les échanges l’ont fait surgir de l’auditoire. Alléguer que l’élite burundaise n’écrit pas, c’est se leurrer au premier abord. C’est nonobstant en sondant les sujets traités par les auteurs burundais que la conclusion d’une presque inexistence de la littérature burundaise se valide. Il n’y a que peu de romanciers burundais, peu de dramaturges et d’essayistes. Et le peu qu’il y a, où les trouver ? Dans quelle bibliothèque ? Trouver un roman « typiquement » burundais rester un casse-tête. Cinq raisons, loin d’être exhaustives, peuvent expliquer cette lacune.
1. Aucune tradition écrite
Le Burundi ne connaît l’écriture qu’avec la colonisation. Le sens commun des ancêtres des Burundais repose sur la tradition orale. Même avec l’alphabétisation, trop peu de Burundais ont accès à la littérature. Celle-ci tarde à trouver sa place dans les goûts locaux. En outre, les œuvres de la pensée qui demandent de grands efforts de création et d’invention n’ont jamais été les bienvenues. Les jeunes « éclairés », ne trouvant pas de modèle préfèrent ignorer le travail de la plume. Quant aux écrits qui apparaissent aux lendemains de l’indépendance, ils sont fortement controversistes au point de ne pas stimuler de nouvelles intentions sur l’écriture. La tradition orale prime encore de nos jours. La preuve en est que les récits écrits sur les faits historiques du pays ne s’accordent pas.
2. Une histoire peu unifiée
Dans ce débat sur la littérature, les panélistes susmentionnés ont insisté sur l’identité burundaise qui peut se lire à travers les prismes de la littérature du pays. Ils déplorent alors les tendances ethniques qui sont allées jusqu’à affecter cette littérature pour la défigurer. Il est très facile de reconnaître dans les lignes d’un auteur burundais l’ethnie ou la classe sociale qu’il défend et celle qu’il vilipende. L’abbé François-Xavier parle de la « destruction de l’identité ». Les lecteurs qui cherchent un modèle pour gratter eux-mêmes sont du coup découragés. Le professeur Joseph confie que certains de ses collègues à la fac affirment que le Burundi ne connaît aucune littérature. Il suffit de lire Sur les traces de mon Père de Michel Kayoya pour découvrir tout le contraire avec les berceuses bien traduites en un bon français.
3. Le défi de la lecture
« La littérature, c’est la vie intérieure qui devient de la vie » lit-on dans Commerce de Pierre Baillargeon. Pour pouvoir produire un chef d’œuvre digne de son nom ; il faut d’abord une lecture studieuse de la pensée et du style des autres. La rencontre entre la littérature découverte et l’esprit qui découvre devient cette vie intérieure qui pourra à son tour ressortir pour former une nouvelle vie. Or, la lecture n’est pas vraiment l’apanage du Burundais, pour ne pas dire de l’Africain. Quelques mots appris à l’école suffisent pour que quelqu’un se croit intellectuel achevé. À peine décroche-t-il son diplôme qu’il relègue son livre aux tiroirs. Impossible d’écrire sans lire.
4. La dépréciation du « Made in Burundi »
La consommation du local est toujours dénigrée pour celui qui peut se procurer « mieux ». Même le roman burundais se rend victime de cette dévalorisation. Il est éminemment facile pour un jeune intellectuel de citer les auteurs de la littérature française et même des auteurs et scénaristes africains comme Léopold Cedar Senghor, Aimé Césaire, Wole Soyinka, etc. A contrario, combien connaissent les écrits de Juvénal Ngorwanubusa ou de Sibazuri ? Et l’association des écrivains du Burundi, où sont ses œuvres ? Le Made in Burundi reste toujours en marge de la mode ; de jeunes plumes peinent alors à émerger. Même le peu qui écrit n’est ni suffisamment lu, ni bien connu ni promu. Ici s’ajoute le problème de la langue. L’élite burundaise ne peut pas prendre son temps pour écrire en kirundi. Or, une bonne partie de la population maîtrise mal le français. Qui seront les lecteurs ?
5. Écrire oui, mais…
Voltaire vivait de sa plume, Molière était rémunéré par ses pièces de théâtre, Charles Baudelaire ne s’en tirait pas mal avec sa poésie. Que tire l’auteur burundais de son œuvre ? Le métier du livre semble rapporter peu à l’écrivain dans une culture où la lecture est reléguée au second plan. Le sens populaire va même jusqu’à affirmer, avec un humour ironique que pour cacher quelque chose à un Burundais, il faut la mettre à l’écrit. Et le professeur Joseph de renchérir : « Eh bien au Burundi, il faut écrire ne fut-ce qu’un seul livre pour être appelé écrivain ! ». Effectivement parce que le métier ne génère pas les sous pour attiser l’inspiration.
Mais en fin de compte ; faut-il persister à affirmer que l’élite burundaise n’écrit pas ? Non certes. Les écrivains sont là, mais leur travail peine à s’émanciper. À l’ère du net, le temps est mieux indiqué pour l’éveil et la fluctuation de l’œuvre de la pensée. Les ministères en charge de la culture et de l’éducation devraient s’y investir ardemment. En attendant, moi et toi sommes conviés à un grand travail de l’esprit pour relever la plume burundaise.
« À l’alliance Franco-burundaise, s’est tenu au mois de novembre dernier, à l’intention d’un club de français du grand Séminaire de Gitega, un café littéraire animé respectivement par l’abbé François Xavier Ntirampeba et M. Joseph Mukubano, professeur à l’université du Burundi. À l’honneur : la littérature burundaise. Le point de mire du débat n’était pas la production littéraire propre au Burundi mais les échanges l’ont fait surgir de l’auditoire. »
Nyakubahwa wanditse iyi nkuru, suzuma neza ico kigabane ca mère. Biteranije ukuntu bitumvikana