Le 28 novembre 1966, un coup d’État signait la fin de la monarchie et instaurait la République. En 2005, des élections mettant fin à une décennie d’une guerre civile, annonçaient l’avènement de la démocratie. Dix ans après une deuxième expérience démocratique, sommes-nous en train d’opérer un retour à l’époque du lieutenant-général Micombero ?
Le 28 novembre 1966, un jeune colonel de 26 ans, Michel Micombero, mettait fin à la monarchie au Burundi. Comme dans la plupart des monarchies, le pouvoir était divin et sacré. Il fallait donc inculquer au peuple toutes sortes d’improbabilités et sanctifier même la naissance d’un monarque. Semences en main, abondance assurée. Briser le mythe séculaire n’était pas une chose aisée. Mais il fallait le faire afin de faire du Burundi un pays où chacun, du moins le plus méritant, pourrait goûter aux délices du pouvoir.
Pourtant, le 28 novembre 1966, une autre forme de « totalitarisme » naissait au Burundi. Le culte de la personnalité s’érigea en mode de gouvernance et se forgea une place dorée au pays du lait et du miel. Au fil des années, le processus de déification du guide franchissait de nouveaux paliers. On parlait alors de révolution et de changement. Et un nouveau messie était né. Il y a 50 ans jour pour jour et le même discours est d’actualité. Changez les acteurs et vous comprendrez.
En 2005, le peuple aussi aspirait à la démocratie. Le Burundais lambda qui s’était levé pour dire « non » à l’exclusion, au despotisme et à la mauvaise gouvernance pouvait-il finalement faire mieux ? Après 11 ans de règne incontesté et incontestable, on continue toujours à espérer.
50 ans après, des « illuminés » nous vendent encore une alliance entre Dieu et le CNDD-FDD qui est appelé à diriger ce pays jusqu’à son « développement. » Le président Nkurunziza et son parti, par la bénédiction du « peuple » et sous la protection du « Saint-Esprit », sont les seuls élus. Gare à celui qui s’opposera à la volonté divine comme on ne cesse de le répéter à l’envi, dans chaque homélie, culte ou campagne d’évangélisation. La technique du résigné reste la même : « Qui suis-je pour m’opposer à la volonté de Dieu ? »
Avec les élections de 2005, le Burundi semblait amorcer les derniers virages en matière de démocratie. La date du 28 novembre 1966 devrait rappeler la dérive autoritaire d’un pouvoir. Glisse-t-on dangereusement vers une dictature ? Dormir sur ses lauriers et faire fi de l’histoire, qui devrait pourtant nous édifier, est pitoyable. Mais cela semble être la routine au Burundi. Le refrain est : songa mbele, allons de l’avant, les mémoires sont encore vives et les plaies béantes, il n’y a aucune nécessité à les remuer. Avançons, même si c’est à l’aveuglette.
Des signes qui ne trompent pas
Nous connaissons tous la part du gâteau que s’est taillé l’UPRONA durant quatre décennies. Le parti était devenu ingrat envers ce peuple qui l’avait pourtant soutenu dans la lutte pour l’indépendance du Burundi. Comment ces gens osaient s’accaparer les richesses de la République au détriment du peuple ?Ils firent de l’Etat un bien personnel et ils disposèrent de tout un peuple dévoué.
Le constat aujourd’hui est aussi sinistre. Petit à petit, le parti de l’aigle glisse sur le même terrain.Les érections de monuments à la gloire du parti de l’aigle se remarquent aujourd’hui dans chaque quartier. Les drapeaux du parti au pouvoir, flambants neufs, ornent nos rues. Désormais,ils font concurrence aux avocatiers plantés par le président Nkurunziza depuis 2005.
Même si nous n’avons pas encore atteint le niveau des années Micombero, nous sommes sur le même chemin. Que le président Nkurunziza soit un homme hors du commun est une chose. Mais faut-il le craindre pour autant comme un dieu? Aujourd’hui on veut rattacher l’individu au parti. Les pagnes, qui autrefois n’avaient qu’un logo du parti, ont désormais aussi l’effigie du président. Que dire des cahiers de la PACOBU, des tee-shirts avec son visage au regard perçant ? Qui n’a pas remarqué que même lors de la marche du flambeau de la paix, les marathoniens portaient l’image du président Nkurunziza ?
Désormais, un seul point de stylo sur la photo du président peut coûter la prison à des adolescents.
Le pas infranchissable ?
Quelques années après l’indépendance, les célébrations des anniversaires de la révolution avaient des allures de glorification de son guide. Aidé par un parti dont les membres influents avaient perdu leurs repères, le parti « unique » ne pouvait pas partager le pouvoir avec les autres. Eux aussi tiraient, dira-t-on, leur légitimité du peuple.
Entre répression ou faire allégeance au guide de la Révolution, le choix était vite fait. Rester au Burundi équivalait pour certains à un suicide d’où l’exil. N’est-ce pas le cas aujourd’hui ? Il ne reste plus qu’à imprimer des timbres et frapper une monnaie à l’effigie du président actuel pour revenir à l’époque de Michel Micombero.
Si le lieutenant-général Micombero avait réussi à dompter la monnaie burundaise, il n’a pas pu dompter les esprits des Burundais qui l’ont pratiquement effacé de leur mémoire. On ne retient pratiquement rien de son passage. Beaucoup ignorent même pourquoi une avenue a été baptisée 28 novembre. Les tristes évènements qui ont endeuillé le pays sous son « règne » ont pris le dessus sur son héritage.On ne retient de lui que sa dépendance à l’alcool.
Mort à Mogadiscio dans des conditions mystérieuses, il n’a jamais reçu les hommages liés à son rang. A-t-il eu au moins une sépulture digne d’un chef d’Etat?
Il faut garder à l’esprit que l’histoire est un juge impartial et qu’elle devrait servir de leçon à tous les dirigeants.
L’article fait réfléchir. Merci