Après des décennies de crises meurtrières, certains Burundais sommes enfermés dans des souvenirs sélectifs et filtrés des évènements endurés. Cela nous empêche de vivre pleinement le présent et de construire un avenir meilleur.
La semaine passée, le Burundi a commémoré l’assassinat de Melchior Ndadaye, le héros de la démocratie. Son assassinat, le 21 octobre 1993, a plongé le Burundi dans une crise meurtrière, s’ajoutant à d’autres crises existantes depuis l’accès du Burundi à l’indépendance en 1962.
Depuis mon adolescence, j’ai écouté et lu des témoignages des amis, parentés, voisins et d’autres victimes des crises qu’a connues le Burundi. Après réflexion, voici ce que j’ai tiré de ces différentes mémoires et témoignages.
Quand la mémoire nous emprisonne
Qu’on le veuille ou non, nous sommes tombés dans un piège insidieux. Nous sommes prisonniers d’un passé sélectif. Certaines victimes se complaisent dans leur passé, ne regardant en arrière que dans une seule direction. Or, notre passé est pluriel et ne doit ni perturber ni remplacer le présent. Il ne doit pas non plus prendre la place du futur.
Souvent, notre passé nous suit comme une ombre. Cependant, si nous recherchons notre avenir dans notre passé douloureux, nous louperons certainement notre futur. Certes, il n’est pas facile d’oublier son passé, mais nous devons nous concentrer sur notre présent afin d’être en harmonie avec notre passé pluriel.
Voici l’une des erreurs que nous commettons souvent : nous sommes captifs d’un passé assaini. Nos ancêtres ne sont pas nos descendants de demain. D’ailleurs, si vous prenez en peu de recul pour voir ce que nous faisons, vous constaterez malheureusement que certaines de nos actions construisent une génération pour l’ancrer dans le passé.
Un passé purifié produit un présent dévoyé
Honneur et respect à nos défunts. Mais notre victoire et notre gloire ne se trouvent pas seulement dans les cimetières. Le triomphe se cache aussi dans un présent réfléchi et un avenir planifié.
Une patrie qui s’attache de manière excessive à son passé édulcoré est un pays qui peine à trouver son chemin vers l’avenir. Il est également incapable de se réconcilier avec son présent. Un passé purifié engendre un présent dévoyé.
Certains parmi nous, nous nous égarons dans le passé lorsque le futur nous échappe. A entendre certains des témoins, nous sommes trop attachés à notre passé, un passé politiquement purgé. Or, le passé devient souvent le refuge des paresseux.
Une vision étroite du passé s’impose
Sacraliser la mémoire en la façonnant selon les désirs du pouvoir, d’un homme politique ou autres, c’est ériger des murs qui aveuglent le regard vers le futur composé.
Depuis plusieurs décennies, notre société est confrontée à une vision étroite du passé. Tout homme politique qui échoue à convaincre son électorat ou réaliser ses promesses, creuse dans le passé pour justifier son échec en envoyant ses sujets dans leur fosse mortifère.
À mon avis, tout pouvoir qui se construit sur un passé est en réalité un frein au progrès. Souvent, nous nous réfugions dans le passé quand nous avons du mal à avancer. Sachons-le, notre passé est une habitation sans toit. Pour rendre le passé un bon endroit pour se reposer, nous choisissons des moments glorieux, la gloire dans la mort de nos héros aussi pour exciter idéologiquement les jeunes qui sont en panne.
Nos héros ont réalisé leur projet. Et nous ?
Indéniablement, les martyrs se sont sacrifiés pour nous et pour notre patrie. Toutefois, ils ne peuvent, en aucun cas, nous remplacer ou nous délivrer de notre propre paresse. Leur lutte n’est pas la nôtre. La nôtre n’est pas la leur. Cependant, certains aspects de leur lutte peuvent nous inspirer. Dans un échange avec un ami, il m’a donné un bon conseil : « Cher ami, dans l’Histoire, nous ne mélangeons pas les rôles.»
Pour finir ma réflexion, nous devons tous respecter la mémoire de notre passé pluriel. Cela demande de savoir comment le dépasser. Pour dire que nous devons le prendre avec pincettes et en même temps le questionner. A mon humble avis, notre passé n’est pas un jardin d’Eden et il n’est pas l’enfer non plus. Tout passé a été une fois le présent d’une telle génération, le futur d’une telle autre. Un présent avec tous ses dangers et un futur avec des sourires et des pleurs !
Pour mieux avancer, il est temps de prendre le passé comme un rétroviseur pour notre long parcours et non pas notre parcours en lui-même. C’est sans doute une équation à plusieurs inconnus qui n’est pas facile, surtout dans un pays où il y a une sorte de politisation ou la manipulation de la population, où chacun se retrouve dans une boite historique déjà tracé par l’autre.
Pourquoi sommes-nous donc une nation trop attachée à son passé, aussi malheureux soit-il ? C’est tout simplement parce que nous avons échoué à construire un futur meilleur. Et dorénavant, chacun de nous se sert de ce passé comme d’une drogue douce qui lui fait oublier ses peines ou justifier ses échecs. Dès que l’on devient accro à son passé, nos souvenirs sélectifs et filtrés deviennent des boules des forçats dans nos esprits.