La réflexion « Repenser la presse » au Burundi, lancée par Iwacu, et qui se veut « être un espace de débat ouvert, pourquoi pas contradictoire, toujours dans l’intérêt de la presse burundaise » a soulevé une question dans son Édito : « Ces jeunes qui avaient 15 ans en 2015, qui en ont 22 aujourd’hui…créateurs de contenus (…), quels sont leurs modèles ? ». 23 printemps aujourd’hui, et évoluant dans le monde de la presse depuis 3 ans, je me suis senti interpellé. Voici pourquoi.
L’éditorial est signé par le journaliste et auteur burundais, Armel-Gilbert Bukeyeneza, actuellement Vice-secrétaire de l’Association de la presse internationale en Afrique de l’Est. Avant de répondre à la question qu’il a posée dans son Édito, j’aimerais mentionner l’immense respect que je porte à son travail, sa carrière et son apport pour la presse au Burundi et en dehors de ses frontières. Ave Armel-Gilbert !
Place à la question alors ? Oui, mais pas tout de suite. Posons un cadre d’abord. Qui sont « ces jeunes qui avaient 15 ans en 2015 » dans le monde des médias actuellement ? Comment abordent-ils le métier de journaliste en 2023 ? Ont-ils la même vision que leurs aînés ? (ici, on parle de la génération « post-Arusha ». Et, last but not least, ont-ils des modèles ?
Deux salles, deux ambiances ?
Mea culpa, je vais faire un petit retour en arrière. En 2020 : pendant que la COVID-19 terrorise le monde entier, je parviens à décrocher un petit boulot (voire un stage) dans un médium local. Ma première expérience en tant que « journaliste ». Je découvre ‘le terrain’, les conférences de presse,… J’apprends, petit à petit. Chaque fois que j’ai du temps (à l’époque, j’étais encore à l’université), je m’exerce. Je lis des articles. Je les dévore à vrai dire. En fait, la presse en ligne m’a séduit plus que la radio, alors que cette dernière a été mon premier amour que je détiens de mon paternel. Je lui serai éternellement reconnaissant pour ce petit post de radio qu’il m’a offert alors que je n’avais pas encore 7 ans. « Tu ferais un bon journaliste », me répétaient souvent mes camarades de classe au secondaire. Tout cela pour vous dire que je suis tombé amoureux du journalisme depuis mon jeune âge.
Et parmi « ces jeunes qui avaient 15 ans en 2015 », vous trouverez à coup sûr, des témoignages presque semblables au mien. Des jeunes qui aimaient ce métier noble de journaliste ou qui ont appris à l’aimer. Aujourd’hui, ils sont nombreux dans les rédactions des médias créés par « la génération post-Arusha » « détruite par 2015 ». Ils ont 22 ans, 23 ans, 24 ans, 25 ans. Voici le profil de « ceux qui avaient 15 ans en 2015 ».
Une autre précision : le temps a passé. 2015, c’était il y a presque 8 ans. Aujourd’hui, par exemple, j’exerce ce métier en tant que créateur de contenus. Coïncidence ? « Qu’est-ce que c’est ces baratins de « créateur de contenus » qu’ils nous amènent ? », encore ces gamins de 2015 vous vous dites peut-être ? Eh bien, comme le dirait un Kylian M’bappe dans la peau d’un journaliste : « Le journalisme, il a changé ». 8 ans, ce n’est pas peu dans un monde qui change constamment.
Le journalisme a été impacté par l’évolution technologique. Avec l’avènement des réseaux sociaux, le journalisme « à l’ancienne » est en train de disparaître. Il faut s’adapter. Dans les rédactions, les Community Managers ont de plus en plus d’importance, car il faut gérer l’audience et surtout fidéliser la communauté. Que veut donc cette dernière ? Comment faire en sorte que les lecteurs nous lisent/écoutent/regardent ? (dans le milieu, actuellement, on dit « consommer notre contenu »). Quel format convient-il ? Les radios et les télévisions ont été obligées de migrer vers le online. Et les journalistes ont été sollicités (formés) pour comprendre l’audience en ligne. On leur a appris à créer du content. Rémi Champseix, spécialiste en management des médias et professeur à l’Ecole Supérieur de journalisme de Lille, lors d’un débat a dit, il y a de cela une année : « The content is king ». Il a ajouté que « plus vous avez un bon contenu, plus vous aurez de l’audience ».
Les jeunes qui ont des chaînes YouTube rivalisent entre eux pour avoir le caption et la thumbnail et attirer plus d’audience. Parfois, ça frôle même le ridicule. On pense, nous autres « génération qui avait 15 ans en 2015 », aux formats courts qui vont ‘marcher’ sur les réseaux sociaux, à Tiktok avec lequel les rédactions du monde entier peinent, car ils n’arrivent pas à maîtriser cet outil dont raffolent les ados de 13 ans. Lire l’article Tiktok, l’algorithme qui secoue les cultures du « Monde ».
La nouvelle génération a appris par force à maîtriser les nouveaux outils à leur disposition quitte à être traitée « d’amateurs » ou de « bande de youtubeurs ». Mais, comprenons une chose, le journalisme change… ou plutôt évolue. Et la question des modèles?
Oui des modèles, certes…
Bien sûr qu’il faut des modèles ! Qui n’en a pas réellement ? Même nous, petits journaleux qui avaient 15 ans en 2015, en avons. Nous apprécions la dextérité de la plume de Guibert Mbonimpa, ou celle ô combien savoureuse d’Abbas Mbazumutima. Nous apprenons encore du sérieux d’Antoine Kaburahe, de l’engagement de Roland Rugero, du professionnalisme d’Armel Uwikunze, de la passion de Parfait Nzeyimana… pour ne citer que ceux-là. La radio n’est pas en reste : Edmond Toyi (Requiescat in pace) ; sa voix et son amour pour le savoir, ont aussi eu un impact énorme dans nos vies. Des voix féminines aussi : Mireille Kanyange, Inès Kidasharira, Liliane Nshimirimana, etc.
Les modèles, je suis persuadé que chaque génération a les siens. Comment aimer une profession si ce n’est pas grâce à un aîné qui t’inspire ? Nous avons des modèles mais, le contexte nous pousse à prendre en compte d’autres facteurs. Qu’est-ce qui se fait ailleurs ? Comment, par exemple, peut-on faire comme Charles Villa et poursuivre le « métier de youtubeur » en même temps ? Avant 2015, RFI, France 24, Le Monde, BBC et j’en passe, étaient des sources d’inspiration pour la génération « post-Arusha ». Pour la génération « qui avait 15 ans en 2015 », il existe Brut, Konbini, Vice, etc. Le métier de journaliste mue, je l’ai mentionné plus haut. Les formats « courts » ont pignon sur rue. Les Reels marchent plus qu’un article à 700 mots. Pratiquer le journalisme ne nécessite aujourd’hui qu’un simple smartphone, le Mojo (mobile journalism).
En conclusion, en repensant la presse au Burundi, n’oublions pas les juniors qui prendront le relais. Ce sont eux l’avenir de la presse burundaise. Chers séniors, « dans l’intérêt de la presse burundaise » formez ces ‘journalistes-créateurs de contenus’, encadrez-les, et surtout comprenez-les.