Les ministres sont souvent invités au Sénat et à l’Assemblée nationale pour répondre aux différentes questions des parlementaires. Ce qui est tout à fait normal. Mais, aujourd’hui, la rigueur que les représentants du peuple affichent quand ils s’adressent à ces autorités de l’exécutif n’est pas habituelle. Y a-t-il anguille sous roche ?
Dr Sylvie Nzeyimana, ministre de la Santé Publique et la Lutte contre le Sida, était invitée à l’Assemblée nationale, mardi le 19 septembre 2023. Avant de revenir sur ce point, comprenons d’abord la motivation de cette invitation. Au mois de janvier 2023, la Cour des comptes a réalisé des rapports définitifs d’audits de la performance des hôpitaux de Cibitoke, Muramvya, Muyinga et Rumonge pour la période de 2018-2022.
L’Assemblée nationale a reçu une copie de ces documents et a voulu aller plus loin pour comprendre le fonctionnement du secteur de la santé. La commission permanente en charge des questions économiques a analysé ces rapports d’audits et a fait des observations. Au préalable, elle a adressé au ministre en charge de la santé des questions par écrit, avant de l’inviter à l’Assemblée.
Des questions dignes d’un interrogatoire
Pourquoi le manque de lits et des matelas pour les patients et les garde-malades ? Pourquoi s’observe-t-il une lenteur des services dans les structures des soins publiques alors que les privés se débrouillent mieux ? Pourquoi dans les hôpitaux comme la clinique Prince Louis Rwagasore, l’hôpital Roi Khaled et l’hôpital Prince Régent Charles, il n’y a pas d’espaces pour les patients et ils dorment souvent dans les corridors ? La ministre a expliqué que cela était lié à une forte fréquentation des structures publiques des soins et le taux de consultation curative très élevé.
Pourquoi les hôpitaux manquent de médecins spécialistes ? Dr Nzeyimana a expliqué que chaque année le ministère lance les avis de recrutement, mais il ne trouve pas de candidatures. Le peu de médecins spécialistes, dont dispose le Burundi, préfèrent prester chez les privés.
Pourquoi des médecins partent de plus en plus exercer à l’étranger ? Dr Nzeyimana a répondu qu’au ministère, on est en train de réfléchir là-dessus.
Pourquoi le phénomène d’évasion des patients depuis les hôpitaux. La ministre a répondu que les cas d’évasion s’expliquent par le coût élevé des hospitalisations surtout pour les patients qui n’ont pas de cartes d’assistance médicale. A titre d’illustration, de janvier à juin 2021, 189 cas d’évasion ont été déclarés à l’hôpital de Muramvya. Dans la période de 2018-2021, 269 patients se sont évadés à l’hôpital de Muyinga. Dans la période 2021-2022, 64 cas d’évasion ont été déclarés à l’hôpital de Cibitoke.
Les représentants du peuple déçus des réponses superficielles
Par rapport aux réponses formulées, les députés n’ont pas été satisfaits et ont relancé d’autres questions connexes, dont la problématique des pharmacies où les patients s’indignent. La ministre a reconnu que le secteur des pharmacies est gangrené du désordre et affirme qu’elle est en train de le réformer.
Devant l’Assemblée nationale, la ministre en charge de la santé s’est excusée pour ses réponses qui ne sont pas convaincantes. Pourquoi ? Parce que les parlementaires notamment le président de l’Assemblée, Daniel Gélase Ndabirabe, n’ont pas caché leur sentiment d’insatisfaction et de déception par rapport à ces réponses si superficielles.
M. Ndabirabe a suggéré à la ministre de sanctionner ou de destituer l’inspecteur général de la santé publique et le directeur en charge des pharmacies. La raison est qu’ils ne collaborent pas avec la ministre comme il faudrait.
Pourquoi cette rigueur aujourd’hui ?
La rigueur des parlementaires envers les ministres n’est pas habituelle. En cette année 2023, un autre ministre, qui était invité à l’Assemblée, a dû être tranquillisé par le président de l’Assemblée nationale en ces termes : « Ntungire ubwoba, turaza gufashanya » (N’aies pas peur, nous allons collaborer, Ndlr). Par ailleurs, les membres de l’exécutif sont redevables envers les citoyens, et il revient aux parlementaires d’être de vrais ambassadeurs du peuple et de poser des questions, y compris celles qui fâchent, aux différents ministres.
L’Assemblée nationale est probablement inspirée par les sénateurs où le 16 août 2023, Emmanuel Sinzohagera, président du Sénat, a dit clairement au ministre en charge de l’intérieur qu’il risquait la destitution s’il ne parvenait pas à sanctionner les administratifs fautifs. Ici, il faisait allusion à l’administrateur de Mukaza suspecté d’avoir détourné 15 tonnes du sucre.
La fin du mandant des élus arrive tout doucement à son terme en 2025. Je reste plus ou moins pessimiste que ce comportement aussi séduisant envers le peuple n’est pas pour rien. Et si c’était une stratégie d’impressionner la population afin d’attirer l’attention de l’électorat ?
De toutes les façons, à cette allure, les ministres qui seront prochainement invités par le Sénat ou l’Assemblée nationale, ils devront bien se préparer au préalable. Sinon, ils seront étonnés.