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Odyssée de mémoire : les jeunes générations entre un « à quoi bon » fataliste et un « il faut » volontariste

Au Burundi, la mémoire renferme des souvenirs douloureux et des cicatrices laissées par les crises graves et continues qu’a connues notre pays. Comment les jeunes générations peuvent-elles comprendre que la mémoire pourrait constituer notre principale ressource en vue du dépassement des déchirures produites par les erreurs du passé ?

 Devant le souvenir douloureux des guerres civiles que notre pays a traversées, une tentation guettent les jeunes générations : celle de vouloir s’en laver les mains et décréter qu’il appartient à la nature même de la société humaine, depuis toujours et pour toujours de commettre de telles erreurs. En plus, les générations actuelles face à ce drame ont un problème de positionnement. Oui, terrassé par le problème de la culpabilité et les mobiles ethniques, il y a une tendance à la globalisation puisque il est difficile d’établir les responsabilités individuelles et un  risque de surcroit de passer outre la vérité.

La conséquence est de se focaliser sur des résultats biaisés et de tomber dans une forme de culpabilité arbitraire des générations antérieures puisque ces générations actuelles n’étaient pas là. D’où des slogans comme Ntakuzura akaboze, et d’ailleurs nous nous occupons du développement, nous n’avons pas de temps pour ça, laissons le passé pour avancer. Pourtant ces mots obsédants du philosophe George Santayana : « Ceux qui oublient le passé sont condamnés à le répéter. » (cfr D. Tutu, Il n’y a pas d’avenir sans pardon, Albin Michel, 2000, p.39)  seront notre juge et fondera toujours la raison d’être de la mémoire.

La juste mémoire selon Paul Ricoeur

Quoi qu’il en soit, nous devons trouver une façon d’affronter notre passé sordide. Et pour le faire, nous n’avons pas mieux que la mémoire pour signifier que quelque chose a eu lieu, est arrivée, s’est passée avant ce que nous déclarons nous souvenir. La pensée du philosophe français Paul Ricoeur est très perspicace en matière de mémoire afin d’affronter certaines dérivés entre excès et défaut de mémoire. S’appuyant sur son œuvre, dont le titre est La  Mémoire, l’histoire, l’oubli publié aux éditions du seuil en 2000, nous voulons montrer une typologie de mémoire liée aux pathologies et aux abus de mémoire :

Une mémoire empêchée (Niveau pathologique) : A ce niveau, on peut légitimement parler d’une mémoire blessée ou malade. Ici, Ricoeur est tributaire de la psychanalyse de Freud. En fait, le patient ne reproduit pas sous forme de souvenir mais sous forme d’action : Il le répète sans évidemment savoir qu’il le répète.

La mémoire manipulée (Niveau pratique) : C’est à ce niveau qu’on pourrait parler légitimement de l’abus de mémoire qui sont aussi des abus de l’oubli où l’autre est perçu comme un danger pour l’identité propre. Suite à une certaine instrumentalisation, il y a soit trop de mémoire dans telle région ou dans telle période, donc abus du mémoire et soit pas assez de mémoire, ailleurs, donc abus d’oubli.

La mémoire obligée (niveau éthico-politique) : C’est ici où se situe le prétendu devoir de mémoire. Cependant, on doit tenir compte des conditions historiques dans lequel le devoir de mémoire est requis.

Qui veut bien faire mémoire doit veiller à ne pas tomber dans des auto-justifications aveugles propres à tous les systèmes idéologiques.

Assumer le passé pour libérer l’avenir

La question de la gestion de mémoire a été confiée à la commission de Vérité réconciliation (CVR) qui a commencé son œuvre mais dont certains résultats n’ont pas fait l’unanimité. Les commissions de vérité sont normalement conçues dans le but de promouvoir la réconciliation. Mais, en général, la réconciliation est un processus particulièrement long et lent, dont le travail d’une commission de vérité n’est sans doute qu’une condition préalable parmi d’autres.

Alors, on pourrait se demander la place qu’a les jeunes dans les programmes de cette commission. Est-ce que cette génération soucieuse de construire une communauté nouvelle n’aurait pas besoin d’être impliquée dans les programmes de cette commission ? Du moins, les jeunes peuvent penser que ces histoires de mémoire ne les concernent pas puisqu’ils n’étaient pas là et que les acteurs véritables sont désormais aux abonnés absents. Je crois que pour qu’ils se sentent impliqués, des programmes qui vont au-delà des simples séances de moralisation sont d’une grande nécessité.

Tout compte fait, les jeunes générations ballotent entre un ‘‘à quoi bon’’ fataliste et un ‘‘il faut’’ volontariste qui obnubilent tout engagement pour sortir de cette situation. Oui, la mémoire est déjà une reconstruction qui n’est pas toujours spontanée mais ce dilemme devrait se transformer en acte courageux et loyal en vue d’un merveilleux avenir.

 

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