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Des mesures contre le blanchiment d’argent : une initiative louable, mais…

De nouvelles mesures contre le blanchiment d’argent sont tombées la semaine dernière. Désormais, les dépôts et les retraits de l’argent seront limités. Néanmoins, ces mesures ne suffisent pas pour lutter contre ce fléau. L’Etat doit ouvrir une enquête approfondie sur les entreprises privées et les investissements fictifs. Analyse.

Fini le laisser-aller. Tout dépôt ou retrait d’argent dans une institution financière sera suivi à la loupe. Désormais, la BRB garde l´œil sur toutes les transactions bancaires.

D’après le communiqué publié la semaine dernière, à partir du 16 janvier 2022, un détenteur de compte dans une banque ou dans une microfinance n’est pas autorisé à retirer un montant supérieur à 15 millions de BIF par jour et 100 millions BIF par mois. Et ceux qui font des dépôts dépassant plus 20 millions doivent justifier l’origine des fonds.

Selon le gouverneur de la BRB, ces mesures visent à réduire la manipulation des liquidités, à moderniser le domaine de changes, et surtout à lutter contre le blanchiment d’argent et du terrorisme. 

L’étau semble se resserrer mais…

 Le blanchiment d’argent n’est pas un phénomène nouveau. L’arsenal juridique a commencé en 2008 avec la loi de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme

Les faits sont têtus. Ces nouvelles mesures montrent que le blanchiment d’argent serait en train de devenir un véritable fléau qui gangrène notre économie et ronge le tissu social.

Cependant, avant d’instaurer de nouvelles mesures, le régulateur devrait plutôt s’assurer que celles déjà en vigueur sont respectées à la lettre. Par exemple, malgré la mesure interdisant un paiement de 500 mille BIF et plus par cash, force est de constater qu’entre les particuliers, les transactions se font actuellement en liquide.

Au Burundi, il n’y a par ailleurs aucune sanction prévue lorsqu’un commerçant refuse d’accepter un chèque de la part de ses clients. Sous d’autres cieux, le paiement par chèque est devenu un moyen dérisoire et de ce fait, on utilise pratiquement plus que la carte de crédit.

De plus, le paiement par chèque peut se faire à partir de n’importe quel montant, tout comme il peut atteindre un montant très élevé. Mais chez nous, ce moyen de paiement est limité à 15 millions BIF. Au-delà de cette somme, les chèques sont traités de façon limitée. 

Comment prospère l’argent sale ?

A mon humble avis, cette mesure qui limite les dépôts à 20 millions BIF est louable, mais elle est loin d’être suffisante pour traquer l’argent sale. Je m’explique. Une chose est sûre : ces blanchisseurs ne sont pas dupes. Ils savent qu’ils ne peuvent pas blanchir l’argent par un simple dépôt ou en utilisant, un virement bancaire ou un chèque de banque. Ils sont traçables.

C’est connu, le blanchiment d’argent est une technique qui consiste à dissimuler l’origine de l’argent obtenu par des voies illégales. Il s’agit simplement de rendre propre du pognon « sale ».

En d’autres termes, le blanchiment d’argent se produit quand une entreprise détenue par un trafiquant de drogues, un trafiquant d’armes ou traites des êtres humains ou un corrompu se met soudainement à des ventes normales et parfois avec un chiffre d’affaires et des bénéfices faramineux. Bref, le criminel veut atteindre un seul but : prendre son argent sale et l’injecter dans le système pour le rendre propre.

Et puis noyer le poisson

Ici comme ailleurs, pour rendre propre l’argent, le trafiquant de drogue ou un fonctionnaire corrompu crée une activité commerciale ou idéalement achète un business déjà en activité, une petite entreprise, un bar resto, un hôtel, une bijouterie, une maison, une boite de nuit, etc. 

Pour certains criminels, acheter un bar resto, une boite de nuit ou hôtel déjà en place serait le moyen le plus simple de noyer le poisson, car il a déjà des employés. Ces derniers n’ont pas besoin de savoir la vraie identité du nouveau boss. D’ailleurs, il y a une règle commune pour les blanchisseurs d’argent : moins le public en sait sur vous plus vous pouvez garder le contrôle. 

D’ailleurs, il n’est pas non plus nécessaire que l’entreprise utilise beaucoup de cash. Dans une telle démarche, l’essentiel est que cette activité permette au blanchisseur d’argent d’ouvrir un compte auprès d’une institution financière. 

Bien sûr, s’il s’agit d’un restaurant, un bar ou un hôtel avec de la clientèle au quotidien : cela peut servir d’écran de fumée idéal pour rendre propre l’argent sale, car les revenus sont justifiés par la clientèle. Comme on peut le voir, la réussite d’une opération de blanchiment d’argent repose en grande partie sur une action : faire entrer l’argent sale dans la banque.   

Chaque jour, la blancheur de l’argent récupère le cash en provenance de la consommation de ses clients pour les déposer dans sa banque. Parallèlement, il prend aussi une grande partie des recettes de son activité illégale et les mélange aux recettes du restaurant avant de faire le dépôt à la banque. Une fois l’argent déposé, il est soit transféré vers des paradis fiscaux, soit utilisé pour l’achat des biens immobiliers (maisons, terrains, magasins…) 

Etablir les responsabilités des institutions financières

Nul n’ignore que beaucoup de petites entreprises, maisons d’habillement, restaurants, hôtels voire même les bars génèrent beaucoup d’argent liquide. Ces derniers apportent de grandes quantités de liquidités aux banques. Cela n’est pas forcément un signal d’alarme pour la banque, tant qu’il semble que l’argent provienne d’une entreprise légale.

Certes, les banques ou les microfinances ne veulent pas être accusées d’avoir ignoré le blanchiment d’argent, mais certaines banques ont tendance à ignorer ce genre de détails du moment que le client leur ramène du pognon.  

Comment l’Etat doit-il agir pour lutter contre ce fléau ?

Pour lutter contre le blanchiment d’argent, l’Etat doit mettre en place une commission des analyses financières et la doter des moyens pour qu’elle puisse accomplir sa mission. 

Deuxièmement, il doit procéder à la réglementation de toutes les activités économiques. En outre, il doit ouvrir une enquête approfondie sur les entreprises privées et les investissements fictifs tout en procédant à l’assainissement du registre de commerce.

Enfin, l’Etat devrait réformer de fond en comble le fonctionnement du marché des changes pour atténuer l’écart entre le taux officiel et le taux parallèle et unifier à terme ces deux marchés ; et encadrer le marché de l’immobilier et celui de l’automobile notamment en matière de paiement.  

 

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