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La « damnée » de Butihinda

L’administrateur l’a crucifiée, le tribunal du net l’a enterrée. Qui enlèvera la balafre que cet agent de l’administration a jugé bon de marquer sur le front de Aniella Mukeshima ? Qui nettoiera les souillures dont les fous du clavier l’ont éclaboussée ? Nous sommes allés à Kamaramagambo et nous avons vu à quel point la méchanceté humaine peut faire mal. 

« Twarahemukiye ba sogokuru, twigaye tumaramare…», c’est cette rengaine de Leonard Niyomwungere qui nous a accueillis au bar Chez Dosagi quand nous avons débarqué à Kamaramagambo, aux alentours de 14h30. La ruée vers l’or y a laissé des traces : de belles maisons ‘’Gasekubuye’’ (qui semblent être à l’abandon) couvertes d’une couche rougeâtre, des boutiques bien garnies, des bars sans produits Brarudi (à mon grand regret), mais aussi des gens affables et accueillants. Des femmes, de belles femmes réservées à la burundaise. 

C’est au bar chez Dosagi que j’établis mon QG pour lancer les ‘’opérations’’. Un ami d’un ami m’a recommandé quelqu’un mais son téléphone sonne dans le vide. J’essaie une autre méthode : faire les yeux doux à la serveuse, un petit compliment, et voilà on devient les meilleurs amis du monde. Et sans tarder je lance le sujet Kirungo. « Kirungo ? Ahejeje kwugara ubu nyene. Adandariza aha inyuma  yacu, ntanzoga afise, agiye muhira » (Kirungo ? Elle vient de fermer. Son bar se trouve juste derrière mais elle n’a pas d’alcools, elle rentre chez elle. Ndlr.) – Aaah ! Au moins, je sais qu’elle n’est pas partie après l’avalanche de calomnies et la vindicte populaire qui se sont abattues sur elle. Je commande une brochette et un jus pour tuer le temps. 

Le doute, la lassitude, l’amertume…

Dix minutes plus tard, un homme en train de siroter un soda m’interpelle : « Ce n’est pas toi qui cherchais Kirungo ? La voilà, elle vient de passer ». Je me creuse les méninges rapidement pour imaginer comment l’aborder. L’homme au soda me sauve la mise : «  Je peux te la présenter. Je suis un ancien chef de zone de Kamaramagambo ». 

Quel coup de bol. Dieudonné, mon nouveau copain est déjà dans le petit bar d’Aniella (je ne vais plus d’ailleurs utiliser le sobriquet dénigrant). Quand j’entre, le monsieur lui dit que je veux lui parler. Elle me toise du regard avec beaucoup de réticences (le mot est faible). N’eut été le charisme de Dieudonné, elle m’aurait éconduit sans autre forme de procès. « Ngiye  mw’ishirahamwe, ninavayo turavugana » (Je vais à l’association, nous discuterons après, Ndlr). Et de me montrer un petit carnet pour me prouver qu’elle ne me raconte pas des sornettes. J’ai quand même le temps d’apercevoir le doute, la lassitude, l’amertume…dans le regard de la jeune femme. Avant de disparaître, elle prend le temps de me dire que deux paparazzi ont squatté son bar la veille toute la journée mais qu’elle a refusé de leur parler. Deux heures à me taper une liqueur frelatée au goût de pétrole, et la voilà qui me revient. 

« Je regrette d’être une Burundaise »

« J’étais encore au lit, on est rentré tard à 4h du matin parce qu’il y avait beaucoup de clients. Voilà qu’une amie m’appelle aux alentours de 9h pour me demander si j’ai su ce qui s’est passé. Je lui réponds que non, et elle m’envoie ‘’in box’’ le fameux communiqué de l’admicom. J’ai pleuré pendant 20 minutes avant d’exploser et de crier. Le travailleur est venu d’ailleurs voir ce qui m’arrivait. Depuis mercredi je n’ai mangé qu’aujourd’hui (samedi). Mon amoureux travaille à Bujumbura et il m’avait promis un financement pour que je puisse développer mon business. Après que l’affaire ait éclaté, je ne prends plus ses appels. Je ne sais pas quoi lui dire. Je regrette d’être une Burundaise, je regrette d’être née dans ce pays »

Elle s’arrête de parler. Je ne parviens pas à formuler une autre question, je suis sidéré par cette douleur à fleur de peau. 

La fin de l’entretien 

Elle reprend la discussion d’elle-même : « Je ne crois pas que l’admicom soit de mauvaise foi. Il ne me connaît pas. Il a été induit en erreur par des femmes jalouses de mon business. Après l’annulation de la mesure abusive, j’aurais aimé recevoir au moins un coup de fil de sa part, pour s’excuser. S’il y a une chose à laquelle je tiens, c’est de voir ces femmes qui m’ont salie reconnaître leur tort. Qu’elles lavent mon honneur publiquement ».

Aniella semble soudain perdue dans ses pensées. Cherche-t-elle ses mots ? Je ne sais pas. Je n’ose pas briser le silence. « Umutwe umwe ntiwigira inama. Aboba bafise ico bomfasha, bomfasha gutahura inyifato nogira kuko narengewe » (Je ne vais pouvoir gérer tout ça toute seule. J’ai besoin d’aide, c’est au-delà de mes forces. Ndlr), finit-elle par avouer dans un soupir.

Une heure plus tard, alors que nous sommes en plein entretien, une photo trafiquée la montrant nue sur la partie supérieure de son corps tombe dans sa boîte. Elle consulte son téléphone, silencieuse, le tend pour me montrer, puis elle éclate en sanglots. Je mets fin à l’entretien.  

C’est le jour de Pâques, nous faisons une ballade à travers les rues de Kamagamagabo pour comprendre le fin-mot de cette histoire. Tout le monde est à la messe. Nous nous postons à la sortie de l’église à l’affût des hommes et des femmes de la localité. A.G est cabaretier. C’est lui qui nous met au parfum. En fait, dit-il, Aniella prenait un verre avec D.N  lorsque la femme de celui-ci a débarqué. Une bagarre s’en est suivie, mais monsieur s’était déjà éclipsé. La femme de D.N qui le soupçonnait d’entretenir une relation avec Aniella est ensuite allée rameuter ses copines et a appelé l’administrateur. La suite on la connaît. 

P.N est un des élus collinaires, nous l’avons cueilli à la sortie de la messe. « Elle ne faisait que partager un verre, rien de plus. C’est incompréhensible le développement qu’a pris cette affaire. L’administrateur a été enduit en erreur par cette femme qui l’a appelé au téléphone. Il aurait dû appeler Aniella  pour l’écouter et cette affaire n’aurait pas fait autant de bruit »

Adelaïde Muhimpundu, responsable des animateurs communautaires (abaremeshakiyago) de Kamaragamagambo, trouve elle aussi aussi qu’Aniella n’a rien fait pour mériter un tel lynchage médiatique. Elle regrette seulement le fait qu’elle subisse des pressions pour avoir parlé et défendu Aniella dans les médias. 

A voir l’emballement médiatique qu’a pris ‘’l’affaire Kirungo’’, et après avoir écouté les gens du coin, nous avons envie de dire « Tout ça pour ça ? »

 

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Les commentaires récents (4)

  1. Auriez-vous tenté de joindre l’admicom pour demander ce qu’il entreprend faire à propos ? Harya yopfa kuvuga ijambo rimwe gusa (via les media bien sûr), Aniella yoremuruka, un tout petit soit-il, kandi mwoba mufashije cane.