Comment est-ce qu’une petite fille de 5 ans peut perdre ses jambes à cause de la malnutrition ? Tout près de la paroisse Kanyinya, située au chef-lieu de la province Kirundo, dans un couvent tenu par la communauté des Sœurs de Mère Teresa de Calcutta, j’y ai vécu un drame : rencontrer les horreurs de la faim.
#GukuraNeza
Pourquoi mon cœur se met à chahuter quand je reçois une mission de travail à l’intérieur du pays ? J’ai deux réponses : une, parce que Bujumbura est suffocante. Deux, parce que c’est en dehors de la capitale économique qu’on observe le vrai Burundi. Je dois avouer que la seconde réponse prime sur la première.
Il est 13 h tapantes. Avec mes collègues, on arrive à Kirundo, précisément dans un couvent tenu par la communauté des Sœurs de Mère Teresa de Calcutta, situé à côté de la Paroisse Kanyinya. Nous n’allons pas tarder à découvrir la détresse dans toute sa rigueur. Les bâtiments sont austères.
On est frappé d’abord par la présence d’une vingtaine de personnes, hommes, femmes et des enfants, qui se trouvent tout près du portail d’entrée. Les mines tristes et le physique chétif, on aurait dit qu’ils n’avaient pas mangé depuis des jours.
Nos pieds franchissent l’entrée du couvent pendant que le ciel commence à se noircir. Et de loin, dans les montagnes, comme si les nuages quittaient les cachettes, signe que pluie présage de tomber. Au couvent six à sept bâtiments à l’intérieur s’offrent à nous. Ils sont contournés par des jardins de fleurs magnifiques, de couleurs allant du rouge au jaune.
Sœur Fideline, responsable du couvent, nous parle un peu de ce qui se fait dans ce couvent : « Ici, de primes abords, on accueille des enfants qui perdent leurs mères lors de l’accouchement. Nous sommes des infirmières. On prend en charge aussi des malades mentaux ». Mais comme dans Kirundo les périodes de famine sont récurrentes, Sœur Fideline fait également savoir qu’elles accueillent des enfants souffrant de malnutrition, et viennent aussi en aide aux plus démunis : « Vous avez sûrement croisé des adultes et des enfants dehors. Eux, ils viennent pour demander à manger ».
Sœur Fideline nous invite à découvrir le couvent et les activités qui s‘y opèrent. Nous n‘allons pas tarder à découvrir l’étendue de la détresse. C’est le choc !
Le baroud de Beni
« Voyez-vous la petite fille là-bas, de loin ? Celle qui n’a pas les jambes : elle les a perdues à cause de la malnutrition ». En entendant cette phrase prononcée par Sœur Fideline, j’ai une sensation de malaise. Mon corps ressent une sorte de froideur. Je cherche un petit endroit où je pourrais m’agripper. C’est sur un bout de bloc en ciment, à côté de mes collègues et de Sœur Fideline, que j’arrive à poser mon fessier dessus. « On l’a accueillie ici au couvent alors qu’elle venait de perdre ses jambes. Elle était très maigre, couverte d’une couche noire, et la tête avait des blessures dans lesquelles des asticots sortaient. En peu de mots, elle était presque morte. Sa mère l’a abandonnée dans nos mains. Son père, toxicomane et alcoolique, a fui vers la Tanzanie ». Ajoute Sœur Fideline
Certains de mes collègues décident de l’approcher pour lui parler. Je n’ai pas ce courage. Je prends par contre mes lunettes de soleil, et je les mets sur mon visage pour cacher les larmes qui apparaissent déjà dans mes yeux. Aucun des collègues ne le remarque.
« Elle souffre aussi de traumatismes. Beni a perdu ses jambes alors qu’elle marchait avant. Nous essayons de lui redonner de l’espoir de vivre. Elle joue maintenant avec d’autres enfants, qui poussent sa chaise roulante un peu partout dans le couvent. Mais elle a du mal à s’ouvrir aux personnes externes ». Confie Sœur Fideline.
Beni, une parmi plusieurs enfants malnutris
Je sors dans ce couvent en pensant au baroud de Beni, qui a été un calvaire. « Elle a vu la mort ». Disait Sœur Fideline. A cinq ans seulement, la petite fille porte déjà les stigmates indélébiles de l’horreur de la faim.
En retournant au véhicule, il y a eu un moment de silence. Je suis sûr, nous sommes en train de penser à ce que nous venons de voir. Dans mes pensées, je vois encore les petits yeux de Beni « la miraculeuse ». Ils accusent. Ils accusent les Burundais. S’il n’y avait pas la présence de ces généreuses Sœurs de Calcutta, elle serait sans doute morte. Combien d’autres enfants sont-ils sur le point de rejoindre le royaume d’Hadès à cause de la faim ?
Dans un rapport de l’Unicef qui date de janvier 2023, on apprend qu’au Burundi, « 56% des enfants de moins de 5 ans, soit 1,1 millions d’enfants souffrent de malnutrition chronique ». Ces chiffres sont très alarmants, suscitant un appel à participation à tout Burundais, aux décideurs, aux bailleurs de fonds, aux organisations militant pour les droits des enfants à appuyer considérablement pour éviter le calvaire de Beni à d‘autres enfants.