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Etre serveuse, un métier ingrat

Elles sont nombreuses à se plier en quatre pour satisfaire nos moindres désirs quand nous sortons dans les bars. La plupart sont jeunes, étudiantes ou simplement des chômeurs d’hier qui n’ont pas pu trouver mieux. Mais qu’ont-elles en retour ? Un salaire indécent, des insultes, des avances éhontées, des tapes sur les fesses, des rapports sexuels forcés, la liste est longues, très très longues. Un blogueur a fait une immersion dans des bars de Buja pour les rencontrer.


Nous sommes dans un bar branché de Buja « la belle ». Je retrouve celle que je vais nommer Josée pour garantir son anonymat. Interdiction formelle de la part de notre interlocutrice de donner le nom du bar. Et pour cause, elles ne sont que deux filles à y travailler avec 3 garçons. Si le patron voit le nom de son bar sur les réseaux sociaux, il est capable de les chasser toutes les deux, à défaut de trouver la vraie coupable. J’ai quand même pu décrocher le droit de vous dire que c’est dans la zone Rohero. L’affaire est entendue.

Nous commençons notre discussion sur ces entrefaites. « C’est comment avec mon travail ? Ce n’est pas un vrai travail. Je suis là parce que je n’ai rien d’autre. Pour un salaire de 80 mille Fbu qui ne couvre pas du tout mes besoins, je ne peux pas parler d’un travail. Et très souvent, c’est 20 ou 30 mille Fbu de retrait à cause des clients qui partent sans payer ! C’est une galère ». Un Silence, et ma curiosité reprend le dessus. « Les pourboires !!!(Éclat de rires). Vous sortez d’où ? Vous prenez les Burundais pour des Blancs ? Quand ils donnent avec la main droite, c’est pour récupérer avec la main gauche, si vous voyez ce que je veux dire ! ». Josée a quand même admis que des fois elle peut rentrer avec 10 ou 15 mille Fbu. « Aguhaye inkoko, ntarindira n’uko ishika munda, aba yatanguye kugukora mu maguru » (encore un éclat de rires). Vous l’aurez compris, c’est son humour à elle.
Josée porte une courte jupe noire fendue sur la cuisse gauche avec une chemise moulante. Elle a le verbe facile. « Parfois, on est obligé de rentrer à 2 h, voire 3 h du matin à cause d’un client opiniâtre », et d’ajouter qu’il arrive qu’un client consomme une seule bouteille pendant des heures, juste pour que tout le monde rentre et qu’il reste seul avec celle qui l’a servie, et bonjour les tapes sur les fesses, les tentatives d’embrassade. Il y en a même qui essaient de soulever les jupes. « Si vous ne faites pas attention, vous vous retrouvez nue en moins de deux ». Je quitte Josée après avoir sifflé deux bonnes bières chacun.

Des mains baladeuses

Deux heures donc plus tard, je quitte les rues pavées de Rohero pour me rendre à un autre bar à Nyakabiga II. La musique est moins forte. Nous sommes à la veille de la joute épique qui a opposé le Real Madrid au PSG.  De teint clair, cheveux naturels, Rose* offre gentiment son sourire charmeur aux clients qui font semblant de ne lui prêter aucune attention. Difficile de la convaincre de me parler. Une bière fraîche arrange l’affaire plus compliquée que ça. Conciliabule ! Elle accepte, mais à condition qu’on aille en discuter dans un autre bar. Une demi-heure plus tard, elle me rejoint. Elle a une diction rapide, mais elle est très agréable. Elle vient à peine d’arriver qu’elle est déjà pressée de terminer cette histoire pour retourner au poste. Pour elle, à côté des clients éméchés qu’elle doit traiter poliment, il y a son boss. « Il arrive qu’il traîne au bar (les fameuses heures de vérité) pour pouvoir me raccompagner chez moi », narre-t-elle. Sauf qu’en chemin, ses mains deviennent trop baladeuses. Il rate volontiers le levier de vitesse, et voilà sa main qui s’égare en haut de ses cuisses. Parfois, au lieu de la ramener à la maison, il l’amène dans un autre bar, et c’est très difficile de résister.


Rapidement, elle s’éclipse comme elle est venue. Mais j’ai déjà 3 bières dans le nez. Avec le peu de lucidité qui me reste, direction Bwiza que j’ai toujours considérée comme la capitale du vice (va savoir pourquoi.). Je me glisse dans Escotisse, ni vu ni connu. Pas de bol, pas de serveuse à la ronde ! Rien que des gars très costauds qui vous servent une bouteille avec un air suspicieux. Pas la peine de traîner sa bosse parmi tant de testostérones.

« Tous des porcs !»

En deux temps trois mouvements, je me retrouve dans un bar en face d’Escotisse qui ne paie pas de mine. Mais quand même une chèvre bien dodue est suspendue sur une corde. Cerise sur le gâteau : prix normal ! Une brochette, aka « Bechou » bien frais et me voici devant une fille somnambule dont les paupières se referment toutes les 5 secondes ! « Des clients ? Tous des porcs ! ». Un verdict sans appel! « Urazi ko hari uwukubeshera ko utamugaruye kubera wanse aho mujana ?). Claudine* est une vraie poète dans son genre. Un groupe de clients près desquels on était semble apprécier son langage cru. Elle leur jette à la figure toutes les ignominies des hommes. Un des types qui nous suivait discrètement se joint à la conversation : « Ce ne sont pas tous les hommes qui se comportent mal avec les serveuses, il y en a qui les respectent et qui leur laissent même des pourboires ». Du tic au tac, je lui lance : «Toi, tu te comportes comment avec elles ? ». «Moi, je sais qu’elles sont là pour gagner leur vie. Je ne joue pas avec elles », répond le gentleman une bouteille de Primus à moitié vide dans la main.

Cela étant dit, l’amertume de Claudine traduit la dure réalité que vivent nos sœurs qui travaillent dans les bars. Elles sont dénigrées, abusées, violentées, dévalorisées. Tout ça parce qu’elles veulent travailler pour gagner honnêtement leur vie ! Elles sont terribles leurs histoires. Même toutes ces bières que j’ai ingurgitées ne parviennent pas à les chasser de mon esprit. Je dois partir ! Partir, loin, très loin. Très très loin de cette tristesse.

* : nom d’emprunt

 

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