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L’interculturation, un rouage indispensable à la justice transitionnelle ?

Écrit en 2012 par l’Abbé Adrien Ntabona, « Dimensions d’une justice transitionnelle à base de thérapies au Burundi » n’a pas pris une seule ride aujourd’hui. Retour sur cet essai qui renferme, peut-être, le remède aux malheurs que les Burundais ont vécu durant les périodes sombres que le pays a traversées. 

« Nous sommes entrés dans une jungle bien sombre, dont nous avons du mal à sortir (…) ». C’est ainsi que l’Abbé Adrien Ntabona débute son essai. Un rappel que l’histoire du Burundi a été très tourmentée? Certainement. 

Nul doute, plusieurs Burundais ont perdu les leurs. Réclament-ils justice ? Oui. Mais, pas que. La réconciliation est nécessaire dans un pays qui a vu ses enfants se déchirer telles des bêtes sauvages. L’Abbé Adrien Ntabona propose d’aborder la Justice transitionnelle définit par l’ONU en tant que «  éventail complet des divers processus et mécanismes mis en œuvre par une société pour tenter de faire face à des exactions massives commises dans le passé, en vue d’établir les responsabilités, de rendre la justice et de permettre la réconciliation, la base de thérapies ». 

Mais avant d’aller plus loin, revenons sur un concept que Adrien Ntabona désigne comme « une piste précieuse à propos de la justice transitionnelle ».

L’interculturation

« Les problèmes que vit le Burundi ne peuvent pas trouver la moindre solution, sans faire de constantes et infatigables prospections dans la culture. La culture, c’est la vie intérieure de la collectivité », écrit A. Ntabona à la page 92 de son essai. Pour ceux qui connaissent cet homme d’église né en 1936, il ne vit que pour la culture. N’est-ce pas qu’en 2018, il disait « Sans culture, on n’est pas homme » »? En 2012, dans Dimensions d’une justice transitionnelle à base de thérapies au Burundi, il avait bien expliqué que « s’il est indispensable de consulter la culture traditionnelle, ce n’est pas y retourner. C’est pour chercher un humanisme de synthèse entre le passé et le présent, la tradition et la modernité (…). Cette démarche se nomme aujourd’hui interculturation ».

L’interculturation donc, comme l’explique  Ntabona, consiste à « faire rencontrer la modernité avec la culture traditionnelle », parce que « La paix du Burundi n’est pas à copier quelque part, mais à assimiler en fonction de la culture locale ». 

Au-delà de l’interculturation, A. Ntabona affirme que « pour la justice transitionnelle, il est donc nécessaire de chercher une méthodologie susceptible de nous aider à dépasser, une fois pour toutes, ce qu’il a appelé « les ethnocentrismes totalitaires ». Ces derniers, il les définit comme « des idéologies partagées, plus vécues qu’analysées, qui ont éprouvé leur force, au point de permettre à la conscience de tolérer le passage aux massacres (…) ».

Pour cet anthropologue, ces ethnocentrismes totalitaires « ont été inculqués à partir de haut. C’est donc de haut qu’il faut partir pour les extirper. Concrètement, pour la justice transitionnelle, il serait bon de mettre face à face des leaders Hutu et Tutsi, volontaires pour ce partage auto-implicatif. Ceux-là donneraient l’exemple ». 

Mais alors, comment dépasser les ethnocentrismes totalitaires ? 

Comme le dit, A. Ntabona, il est nécessaire pour la justice transitionnelle de chercher une méthodologie agissant comme « remède à la destruction des consciences, que les différentes crises ont engendrées ». 

Ntabona propose ainsi dans son essai de disposer les esprits à dépasser la violence conceptuelle. Pour combattre la violence conceptuelle, « il faut créer une atmosphère capable d’aider à raisonner sainement et calmement. Il faut, en d’autres mots, calmer son esprit ». En second lieu, il s’agit de faire une analyse auto-implicative. « Pour faire une bonne analyse des phénomènes sociopolitiques, il faut découvrir les rôles des acteurs politiques dans les conflits en présence ». Plus important encore, il écrit : « Il faut impliquer le « nous », au lieu d’impliquer seulement le « vous » en expliquant à tout bout de champ ». Des similitudes à l’excellent essai d’Amin Maalouf « Les identités meurtrières » ? Probablement.

La vérité nous libérera 

En troisième lieu, il préconise la demande et l’octroi du pardon parce que le pardon « est un pilier d’une paix durable ». En dernier lieu viendrait la formulation d’engagements. Comme le précise A. Ntabona, « cette méthodologie contribue à rendre vivables les milieux naturels de vie et permet de former des pôles repères vivants, des paliers de la paix, rocs sur lesquels les faibles peuvent s’appuyer pour ne pas retomber dans les ethnocentrismes. Elle offre aussi les lubrifiants pour lutter pour la justice et négocier une paix sociale durable. Or, c’est cela que vise la Justice transitionnelle », conclut le prêtre. 

L’érudit Adrien Ntabona ne cesse de mettre son travail au service de la paix et de l’Ubuntu. Pour guérir et faire une croix sur les blessures du passé, dans « Dimensions d’une justice transitionnelle à base de thérapies au Burundi », il insiste sur le fait que : « il faut prioriser la vérité, pour que les citoyens sachent ce qui a été fait ; par qui cela a été fait ; sous quelle responsabilité ». On ne peut qu’être d’accord avec lui, seule la Vérité (et la réconciliation) nous libérera. 

 

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