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Nous avons mis « Icuma » dans une machine à remonter le temps

C’est toute une institution, le restaurant. Lieu de rencontre par excellence pour les étudiants de l’université du Burundi, il est également une machine à anecdotes qui rend nostalgiques ceux qui ont connu son âge d’or.  

Le restaurant universitaire n’est plus ce qu’il était. Une pâle ombre de son prestige d’antan. Les différentes réformes dans le domaine de l’enseignement supérieur ont eu raison de lui. Les prêt-boursiers ne se montrent plus emballés par ses deux repas par jour pour une somme de 50.000 BIF. Ils préfèrent se rendre dans les restaurants environnant les campus. 

 Mais si le restaurant agonise, il a longtemps été le centre de gravitation de la vie estudiantine. « Le matin, akayi, le petit déjeuner, était un délice à ne pas louper sous aucun prétexte. On était servi à volonté et pour certains, c’était difficile de se tenir droit tellement le ventre était plein à craquer », se souvient un ancien poilissime, nostalgique. 

Le poilissime ne faisait pas que remplir son estomac dans le restaurant. Icuma, c’est aussi les interminables débats. Il faut savoir que, convaincu d’être la crème de l’intelligence, futur cadre du pays, le poilissime se devait d’avoir une idée sur presque toute question de société et défendre sa position. 

La Mecque de ces joutes verbales, c’est la table 12. C’est le haut-lieu de cette agora. « La légende raconte qu’il y a même un coup d’Etat qui a été fomenté sur la table 12 », révèle Justin, un autre ancien de Rumuri. Une anecdote qui ne résisterait pas à deux minutes de critique historique mais qui révèle la réputation que traine cette table.

Les poilissimes, ces ‘’immortels’’

Il est de notoriété publique, les poilissimes ont un langage inintelligible pour tout non-initié. « L’Université du Burundi est un autre pays », font savoir les anciens aux puants, les bizuts aux têtes rasées lors de séances dites d’intégration. Et comme pour les pays, le « Poilissimekistan »  a ses propres codes du langage.

Rien n’échappe à l’inventivité langagière du poilissime. Surtout quand il s’agit de nommer tout ce qui a trait à son restaurant chéri. En parlant de chérir, pour se la jouer gentleman, prenons l’exemple de l’aga hoseuse. Quand on vous sert un thé à une température de lave, il faut l’attiédir, guhoza. Et l’on sait qu’en Kirundi, si le « ga » peut signifier le mépris, il peut également être une marque d’affection. Et comme cela ne suffisait pas, féminiser le nom de ce petit gobelet qui sert à tempérer le thé.  

Si vous vous asseyez avec un ancien poilissime et qu’il vous dit que dans sa jeunesse il aimait isugi, il se peut qu’il n’admet pas être un pervers qui dépucèle les jeunes vierges en série. C’est qu’il raffolait des touts premiers mets servis vers 11 heures. « L’huile de palme toute rouge flottait souvent sur les haricots. Une personne à l’humour un peu osé à dû y déceler une analogie avec l’écoulement du premier rapport sexuel », explique Jacqueline, une lauréate de la faculté de droit.

Il faudrait carrément tout un dictionnaire pour contenir les codes du langage autour du restaurant. Tous ont un dénominateur commun : l’humour. Difficile de ne pas sourire ou rire quand on vous les explique. Cet humour est mâtiné d’une certaine dose d’autodérision. « Souvent les aliments avaient un goût de papier et il fallait y mettre un peu de jus de citrons cueillis sur les citronniers du campus. On disait que c’est pour perdre du poids mais tout le monde sait que le surpoids n’est pas un problème récurent chez les poilissimes », ironise J.Paul, lauréat d’une des dernières promotions qui ont connu le restaurant avant la vague prêt-bourse.    

Un code d’éthique et de déontologie

On n’entre pas au restaurant comme on entre dans une salle de cinéma des quartiers populaires de Bujumbura. Il faut suivre une étiquette à faire pâlir de jalousie les majordomes qui servent à la table de la reine d’Angleterre. 

Il faut soigner sa tenue vestimentaire. Avec la bibliothèque et l’auditoire, le restaurant est la troisième personne de la trinité poilissime. Si vous vous fringuez comme si vous participiez à une fashion week hippie, il est fort probable qu’un commissaire- eh oui, il y’a des commissaires- vous jette dehors sans ménagement. 

Il en va de même pour les règles élémentaires de la bienséance. Sur la chaine, interdiction de dépasser. Cette valeur est sacro-sainte. Il faut savoir qu’à certaines heures de pointe, passer une heure sur la chaine est une probabilité inéluctable. En cas de force majeure, « il fallait demander très poliment une dérogation au commissaire de la chaine », fait savoir Innocent Miburo, un ancien commissaire.

Arrivé à table, il faut absolument saluer tes commensaux. Que tu sois content ou que tu te sois engueulé avec le guichetier qui t’as refusé une louche de plus de riz ou quelques pommes de terre sautées. Dans certains campus, même la façon dont tu tiens ton assiette est réglementée. « On ne tient pas ses aliments comme on tient ses godillots boueux à la fin d’une partie de foot », assène un ancien poilissime. Et quand vient le temps de prendre congé, ce n’est pas comme au stade. Il faut susurrer un « Musigare » très respectueux. Là, vous pouvez vous toucher le ventre, et dire « Tous les Burundais sont maintenant rassasiés ». 

Icuma, les nouveaux poilissimes le découvriront piraté selon les intégristes conservateurs, mis à jour pour les progressistes. Une chose est sûre, c’est une véritable institution qui ne saurait laisser indifférent ceux qui l’ont fréquenté.

 

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Les commentaires récents (8)

  1. Vraiment, vous me faites souvenir les moments de bonheur, de joie et d’allegresse que j’ai vaicus
    à l’université du Burundi durant les années 2004-2009.

  2. Nul autre que l hyper regretté Cédric et sa plume pour nous faire découvrir le restau de l UB pour ceux ne l ayant pas fréquenté. D ici bas, Merci Céd