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Le fair-play, garde-fou contre les messages brûlants des leaders des groupes

On assiste à des salves de paroles sulfureuses des leaders d’opinion appartenant souvent aux mêmes sensibilités. Un signe de carence de culture politique en face duquel le politologue Elias Sentamba propose le fair-play comme remède.

Qu’est-ce qui pousse des leaders influents d’un même groupe à se lancer des messages haineux sur la place publique ?

Effectivement, comme vous, moi aussi je vois via la radio, la télévision, la presse, certains leaders politiques se lancer des messages pas toujours gentils. Malheureusement, ils se lancent ces messages à travers leurs publics, et tout se faisant comme si chacun est le seul bon, que l’autre, son adversaire, est mauvais. Implicitement, chacun suppose que ce soit lui qui soit promu et l’autre démis de ses fonctions par l’une ou l’autre voie. Mon analyse sur ce sujet est qu’il est tout à fait normal pour chacun de ces leaders politiques de percevoir, de lire, de comprendre le leadership à sa façon parce qu’étant humain, chacun perçoit les faits à sa façon en fonction des intérêts qu’il défend.

Y a-t-il un problème à ce niveau ?

Justement, le problème survient lorsque ces messages de haine qu’ils se lancent chacun, invitent l’auditoire à se mobiliser contre son adversaire et vice-versa. Qu’enfin de compte, il mobilise à la violence générale. Et cette dernière est toujours contre-productive y compris pour le leader qui l’instrumentalise. Et là, à mon avis, cela traduit une faible culture politique en direction de la démocratie parce que chaque leader devrait comprendre qu’il n’est pas tenu d’être d’accord avec son adversaire mais qu’il est tenu de le respecter. Il n’est pas tenu d’apprécier que son adversaire prenne le pas ou occupe les fonctions du pouvoir avant lui ou les monopolise, mais il est tenu de respecter l’état de droit. Et c’est comme cela qu’à mes yeux, ces leaders devraient se respecter au moins mutuellement parce que celui qui mobilise la haine contre les autres doit normalement être puni par la loi. Donc, le respect de l’état de droit nous manque encore.

Comment les auditeurs devraient interpréter ces messages ?

Malheureusement l’opinion se positionne en fonction du leader derrière lequel elle se trouve. Si vous avez un leader A et qu’une certaine opinion est derrière lui ; de l’autre côté vous avez un leader B avec une autre opinion derrière lui, il y a risque de se confronter, d’entrer dans une spirale de la violence incalculable d’autant plus que comme l’opinion elle-même manque de culture politique dans la direction de la démocratie. 

La persistance de tels discours est dangereuse pour la société ?

Bien sûr. J’ai vu, à travers les réseaux sociaux, des leaders se fâcher, vouer une haine quasi-viscérale à leurs adversaires. C’est un mauvais exemple. Ils devraient, comme au football faire preuve de fair-play où des équipes adverses se serrent la main même en cas de défaite de l’une d’entre elles, être vaincus mais convaincus au moins. Se dire voilà, s’il a gagné, il a dû passer par des voies normales, donc je m’incline et je vais peut-être mobiliser mes électeurs et une fois son mandat terminé, que je puisse me faire élire et puisse le remplacer selon les règles de l’art. Mais mobiliser les gens par des discours haineux, c’est malsain. Ce n’est pas bon. Il faut plutôt montrer à l’opinion, à la société que les leaders se respectent mutuellement, respectent l’état de droit, le mandat de tel et si l’un d’entre eux fait un faux pas, que les autres le conseillent pour que le mauvais exemple ne se répande pas à travers toute la communauté nationale.

Est-ce que vous pensez que ces discours peuvent conduire aux violences de masse ?

Bien sûr. Il y a des ouvrages en sciences sociales, en histoire qui montrent que lorsque la haine commence par le sommet, elle se répand rapidement. Je conseillerais d’ailleurs aux leaders d’opinion de se retenir, de faire preuve de fair-play, ça veut dire de respecter tout le monde y compris leurs opposants ou adversaires politiques parce que c’est normal qu’ils soient opposants parce que les postes intéressants sont peu nombreux alors que ceux qui y aspirent sont nombreux. Plus ces postes sont peu nombreux et plus difficiles il est de les occuper. Donc, il faut que les gens fassent preuve de fair-play.

Que devrait être le comportement de ceux qui écoutent ces messages pour éviter justement de tomber dans les violences de masse ?

Il faut qu’ils fassent preuve d’intelligence. Il y a des paysans brillamment intelligents même sur nos collines. Ils disent en kirundi « Buraca bugacana ayandi » qui signifie aujourd’hui c’est tel et demain c’est tel autre ou bien « Ntamvura idahita » pour signifier que chaque mauvaise situation finit toujours par s’estomper quand ils sont mécontents. Il faut faire preuve de patience et ne pas suivre l’exemple des gens qui se chamaillent parce qu’après tout, pour ceux qui sont adultes, nous avons vu des leaders se succéder les uns aux autres, toute ethnie confondue d’ailleurs, toute région d’origine confondue. Il faut que nous Burundais, de la colline comme de la ville, moins instruits comme plus instruits, sachions que les postes de responsabilité ou de leadership sont là mais peu de gens les occupent. Et du coup, que nous fassions preuve de fair-play.

 

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