Entre « un bilan largement positif » selon le directeur général sortant de la Regideso et « une entreprise au bord de gouffre » selon le gouvernement, qui faut-il croire ? La vérité se situerait-elle entre les deux?
« La Regideso n’a plus de dettes envers ses créanciers. Le chiffre d’affaires a augmenté de 56 milliards BIF en 2017 à 107 milliards BIF en 2019 », se félicitait le DG sortant de la Regideso lors des cérémonies de remise et reprise le 19 janvier, avant de renchérir qu’il laisse une société en bonne santé financière, avec 12 milliards BIF sur les comptes, et 16 milliards BIF que l’Etat lui doit.
Paradoxalement, quelques jours avant, le président de la République avait présenté un tableau plutôt sombre de la Regideso. « Nous allons limoger tout le personnel, du DG jusqu’au planton, car ils ont failli à la mission que le peuple leur a donnée », menaçait son excellence avec un air fâcheux, avant d’ajouter : « Nous allons leur retirer la responsabilité de gérer l’eau et l’électricité pour l’accorder à d’autres qui pourront générer des bénéfices ! ». Même le Premier ministre n’y était pas allé avec le dos de la cuillère en proclamant que la Regideso venait de passer dix ans sans distribuer des dividendes.
Ce que nous savons
Avec ces discours radicalement opposés, l’on se demande qui croire. Un haut cadre de la nouvelle administration, sous couvert d’anonymat, brosse un panorama nuancé. « Si en 2019, l’entreprise a pu enregistrer 107 milliards BIF de recettes, l’entreprise n’a rien gagné, car à côté des salaires pour son personnel pléthorique, elle a dépensé 62 milliards BIF pour acheter de l’énergie à la centrale thermique exploitée par la société Interpetrol. Et elle a payé 2,4 milliards BIF de commissions à la société PayWay Burundi. »
De l’aveu même de l’ancien ministre de l’Énergie et des Mines, dans une lettre datant du 20 avril 2020, la santé financière de la Regideso laissait à désirer. La Regideso accusait des impayés d’un montant faramineux de 63 milliards BIF, et évoquait la difficulté de payer les factures de ses créanciers surtout l’Interpetrol qui avoisinaient 12 milliards BIF à la fin du mois de février 2020. Pire, le stock « mort » en 2019 dû à un approvisionnement en équipements obsolètes, totalisait une perte de plus de 13 milliards BIF.
Garder la tête hors de l’eau
« Ne ment en effet que celui qui manque à une vérité qu’il connaît, sinon il y a erreur et non pas mensonge », disait Emmanuel Kant. La réalité est que le Dr Major Jean Albert Manigomba hérite d’une entreprise au bord du gouffre. Pour inverser la tendance, l’économiste Kelvin Ndihokubwayo conseille à la nouvelle administration, un changement de cap et de leadership. Des recouvrements à l’échéance des créances, le paiement des factures par l’Etat, la lutte contre le gaspillage de l’eau et de l’électricité dans les établissements publics, la lutte contre la corruption à travers la transparence dans les contrats et la passation des marchés publics, traquer les fraudeurs d’électricité, l’augmentation de la capacité énergétique du pays, sont des mesures qui doivent être entreprises rapidement.
L’économiste n’écarte pas non plus des audits juridiques et financiers, la décentralisation ou la privatisation de l’entreprise, si les choses restent telles qu’elles sont. Le moins que l’on puisse dire c’est que la nouvelle administration a du pain sur la planche. On ne peut que lui souhaiter bonne chance.
Ce sont ces audits financiers (en bonne et due forme, respectant certaines regles de comptabilite) qui pourraient justement prouver si la Regideso a « un bilan largement positif » ou est « une entreprise au bord du gouffre ».