Quand deux ou plusieurs cultures se rencontrent, il y a des échanges de traits culturels. Certains sortent fortifiés de ce brassage, d’autres perdent du terrain. Parmi ces derniers, la religion. Le 11 février dernier s’est tenu à Gitega un débat sur ce qu’il est advenu de la religion des Barundi face aux religions « importées ». Reportage.
Y a-t-il eu une guerre des religions entre celle des burundais et les croyances venues d’autres cieux, le christianisme et l’islam ? C’est par un après-midi nuageux que la salle des réunions de l’Orange lodge a accueilli un débat sur cette thématique.
La météo de cet après midi est typique du mois de février à Gitega. Le ciel est grisâtre. Une masse nuageuse s’est formée sur les hauteurs de Gihinga. Finalement, plus de peur que de pluie. Quelques filets de précipitations sont tombés. Pas de quoi dissuader les participants.
La discussion est en kirundi, le verbe kunyinyurana utilisé pour qualifier le choc fait sourire. Des sourires pudiques. Il y a une hésitation à prendre le micro. C’est Ntisumbwa Ferdinand qui brise une longue minute de silence. Il répond par l’affirmative. Pour lui, « on ne peut pas défaire un peuple d’une culture religieuse séculaire sans provoquer un choc. »
Grace à l’intervention de Ferdinand, les langues se délient dans la salle. Les doigts sont levés de par les quatre rangées. Certains abondent dans le sens du premier intervenant, d’autres non, à l’image de Dismas Ntahomvukiye qui revient sur le poids des mots. « Kunyinyurana, dit-il, je ne crois pas parce que le rapport de forces était tel que la religion traditionnelle ne pouvait vraiment pas tenir. »
Des rencontres pas si soft que ça.
On se doute que la cohabitation entre l’ancien ordre et le nouveau n’était pas gagnée d’avance. Il devait y avoir une sélection naturelle au bout de laquelle le plus fort allait survivre pour piquer l’image chère à Darwin.
Quelles ont été donc les stratégies développées par les différentes parties impliquées ? Pour Gérard Kaburahe, « les chrétiens ont joué la carte de la stigmatisation. Ils ont étiqueté de bashenzi, ceux qui n’étaient pas baptisés et ont marginalisé les musulmans qu’ils ont confondus aux swahilis à tel enseigne que le vocable swahili a longtemps signifié escroc, menteur. »
Autre religion, autres tactiques. C’est du moins ce que l’on peut retenir de l’intervention de Ngenda Jean au sujet des musulmans. Le sexagénaire à la retraite met l’accent sur l’atout économique que représentait l’islam. « Les musulmans n’étaient pas vraiment de grands faiseurs de prosélytes. La preuve en est qu’ils n’ont pas pénétré dans le Burundi profond à la recherche de nouveaux adeptes. Ils sont restés aux rives du Tanganyika et aux centres urbains, endroits propices à leur activité principale, le commerce. De fil en aiguille, les locaux qui les côtoyaient se convertissaient par assimilation. »
L’historien Emile Mworoha, le spécialiste invité pour éclairer le débat à la lumière de la science historique ajoute un détail important : « L’Eglise était de mèche avec l’administration. Un chef qui refusait le baptême était par exemple démis de ses fonctions. C’est ainsi que devenir catholique était perçu comme un passage obligé pour espérer une ascension sociale».
Quelle lecture aujourd’hui?
On ne peut pas changer le passé, dit-on. Faut-il pour autant faire les nostalgiques et tenter un retour vers le passé sur le plan religieux ? That is the question ! Agnès Niyonizigiye trouve cela « difficile ». La jeune fille explique sa position par les similitudes existant entre les religions importées et la religion traditionnelle des Barundi. « Comme nos ancêtres, certaines religions importées prêchent un Dieu invisible que l’on peut invoquer par l’intercession du Christ et les saints, comme nous le faisions avec Kiranga et ses acolytes, ibishegu ou ibihweba. »
« Pourquoi pas ?», soutient Laurent Cishahayo. Pour lui, ce retour aux sources « ne serait que bénéfique parce que la religion est un des traits les plus importants de la culture. Cela serait une sorte de réappropriation de notre identité car les religions actuelles nous ont été imposées. ». Cette vision est rapidement contestée par Dismas Ntahomvukiye qui revient en proposant l’inculturation, adapter les religions importées à nos cultures plutôt qu’un retour radical vers les rites d’antan.
C’est le professeur Mworoha qui viendra conclure le débat en proposant une lecture réaliste et dépassionné de la situation. L’historien rappelle que les fonctions sociales de la religion sont actuellement dans les mains des religions venues d’ailleurs. « Avant les bapfumu, guérisseurs étaient vus comme des gens qui sont aidés par Imana dans leurs prestations. Quand les missionnaires ont installé les dispensaires, cet aura n’a pas résisté. Les confessions religieuses ont presque monopolisé l’éducation des jeunes et leur action n’est pas que négative. » Ce à quoi un participant répond du tac au tac sous un air de boutade, « il faudra faire avec ».
Débat intéressant …
Article intéressant