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Jeanine, l’albinos de Ruziba qui veut quitter l’ombre et briser les chaînes de la honte

Dans toute communauté, gagner sa vie est un combat quotidien. Ce n’est jamais un acquis. Quand il s’agit de ceux que l’anglicisme appelle les « born different », parvenir à avoir une vie « normale » est un véritable parcours du combattant. Aller à l’école, jouer avec les autres, trouver un petit boulot, tous ces actes plus ou moins « anodins » de la vie sont de véritables épreuves pour les personnes vivant avec l’albinisme. Voici le récit édifiant du parcours atypique de Jeanine Dusabe.

Marcher la peur au ventre, tel était le quotidien de Jeanine. Nous sommes allés la voir à la maison. Mais arrivés tout prêt de chez elle, il nous a été communiqué que ce ne serait pas bon pour elle de nous accueillir. On a dû prendre un autre rendez-vous. Le jour convenu, nous l’avons rencontré au centre Albinos Sans Frontières (ASF) situé à Nyakabiga II où elle était venue prendre de la crème pour la peau. A 19 ans, elle doit quotidiennement faire face à tous ces regards parfois moqueurs, parfois curieux. Jeanine est troisième d’une fratrie de 6 enfants. Seule albinos de la famille, elle a grandi avec cette idée qu’elle est différente de ses frères et sœurs. « Étant encore gamine, j’avais déjà réalisée que je ne ressemblais pas à mes grands frères. J’avais même honte de jouer avec eux ». Cette idée, qui se transforma vite en blessure, elle la gardera durant toute son enfance. 

« J’ai décidé de ne plus aller dehors »

Même si les parents de Jeanine ont tout fait pour que leur fille ne soit pas stigmatisée, les enfants de son âge ne cessaient de l’appeler par tous les noms péjoratifs qu’ils pouvaient trouver : Nyamwema, Muzungunyange, Gasigo, etc. Incapable de supporter tout ce qu’on lui faisait endurer, la pauvre petite fille a fini par ne plus sortir de chez elle. «  Je me sentais comme un petit monstre. Du coup j’ai décidé de ne plus aller dehors », confie-t-elle. Quand elle atteint l’âge de scolarisation, la galère est revenue au galop. D’abord c’est le problème des yeux qui se pose suite aux rayons solaires. Ensuite, ce sont ses parents réticents à l’idée de voir leur fille vulnérable fréquenter des milieux publics. Ils imaginaient le pire : les moqueries, peut-être même des séquestrations. « J’avais cette envie de fréquenter l’école, mais la peur a surpassé mes désirs. Du coup je suis restée à la maison », témoigne-t-elle.  Privée de scolarité, l’avenir de la fille était déjà compromis. Malgré tout cela, Jeanine n’a pas baissé les bras. 

« Petit à petit, je me suis mise à l’artisanat »

Au-delà du combat quotidien pour se faire une place dans son entourage, la jeune fille décide d’explorer les pistes pour gagner sa petite vie. A seulement 11 ans, elle commence à s’initier aux petits métiers comme la couture, la broderie, la vannerie. Bref tout ce qui ne se pratique pas loin de chez elle. Heureusement, les voisins n’ont pas continué à la dénigrer. « J’ai eu la chance d’apprendre vite, je maniais bien les outils malgré mes petits soucis de vue. Petit à petit, je me suis mise à l’artisanat », se rappelle-t-elle. Mais malgré cette volonté implacable d’apprendre, les moyens pour se procurer du matériel pour pouvoir voler de ses propres ailes n’ont pas suivi. A cause des moyens limités de ses parents, Jeanine n’aura pas la chance de devenir autonome comme elle le souhaitait. 

« Quittez l’ombre, brisez les chaînes de la honte…»

C’est en 2019 qu’elle a eu écho de l’association Albinos Sans Frontière. Sans trop se prendre la tête, elle décide de l’intégrer grâce à un de ses connaissances du quartier. Après son adhésion à ASF, elle aura la chance d’approfondir son savoir-faire dans l’artisanat. Ce centre va aussi l’aider dans l’acquisition des outils de base. Sans tarder, elle se lance dans la broderie, un métier pas très rentable à Ruziba, mais qui lui rapporte un petit revenu pour subvenir à ses besoins. Petit à petit elle se fait une place dans la communauté. Actuellement, un sourire commence à naître sur le visage de Jeanine. Elle a des rêves d’un lendemain meilleur, comme d’autres jeunes filles de sa génération. Elle lance un message pour ceux qui vivent encore sous le joug de la stigmatisation : « Quittez l’ombre, brisez les chaînes de la honte et faites connaître vos capacités !».

Cet article s’inscrit dans le cadre du projet EEYP – Economic Empowerment of Youth towards Peacebuilding and Crisis  Prevention in Burundi  soutenu  par  IFA  & GFFO et exécuté par WAR CHILD  et  AJEBUDI-YAGA

 

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