Le concept du devoir de mémoire est un concept incontournable du discours politique et intellectuel depuis de nombreuses années. Mais que signifie-t-il réellement ? Dans quelle mesure nous est-il utile dans notre société qui a été déchirée par des conflits violents ? Quel peut être la part des jeunes dans toute cette affaire ?
Le « devoir de mémoire » est un concept qui a été popularisé dans les années 1990 suite à la Seconde Guerre mondiale et en particulier la Shoah. Il désigne et pose le postulat de l’obligation morale de se souvenir des tragédies passées pour éviter leur reproduction, se souvenir des victimes et lutter contre le négationnisme et le révisionnisme.
« Qui remue le passé perd un œil, qui l’oublie perd les deux »
Pourquoi est-il important de se souvenir ? Pour certains auteurs comme Marie José Ballouhey, se souvenir est un devoir que l’on rend aux hommes et aux femmes qui nous ont précédés, qui ont travaillé et assumé ce qu’il y avait à faire au moment où c’est eux qui étaient porteurs de la vie.
Dans « Le droit et le devoir de mémoire au Burundi : 1962-2014 », d’Aloys Batungwanayo, nous lisons qu’en réalisant des activités en souvenir de ceux qui nous ont quittés, nous faisons ce que l’on nomme le « travail de mémoire ». En le faisant pour des personnes massacrées (jetées dans des rivières, lacs ou latrines) accusées à tort de traîtrise dont il est interdit à leurs descendants de se souvenir, nous reconstruisons leur dignité.
Parlant toujours de l’importance de perpétuer le souvenir, Marie José Ballouhey affirme que réactiver le passé n’est pas un retour en arrière en ce sens que ce qui fut est accepté. Mais, on peut réfléchir sur les causes et les effets, sur les motivations et en tirer profit pour orienter son jugement, son action et les choix actuels.
Quant à l’historien Charles Heimberg, il affirme que le devoir de mémoire est primordial en ce sens qu’il consiste a priori à proscrire l’oubli car la lutte contre l’oubli peut elle-même déboucher sur des abus. En effet, pour cet auteur, un oubli peut en provoquer un autre et la somme de ces oublis peut alors mener à une concurrence des victimes.
Comment entretenir ce devoir de mémoire ?
Les personnes qui ont vécu sont de précieux vecteurs pour entretenir cette mémoire. Le devoir de mémoire peut aussi prendre la forme de déclarations officielles, de textes de loi ou de « lois mémorielles » et de traités internationaux.
Mais il y a également ce qu’on appelle la « mémoire de pierre », qui désigne les lieux où il est possible de procéder à des commémorations : hauts lieux de la mémoire nationale, monuments, etc. Parce que les souvenirs s’estompent avec le temps et que la transmission s’affaiblit, entretenir cette mémoire de pierre est donc primordial.
Et les jeunes alors ?
Comprendre d’où l’on vient pour savoir où l’on va est impératif pour l’avenir de la jeunesse burundaise. Cependant, aujourd’hui la transmission du passé se heurte à de nombreux obstacles. Jadis, les veillées autour du feu durant lesquelles l’histoire était contée et les valeurs morales inculquées aux plus jeunes, ne sont plus. Avec la colonisation qui a changé les modes de vie et les violences à répétition qu’a connues notre pays, le partage de la mémoire n’est plus ce qu’elle était.
Bien plus, le passé (même récent) est difficile à raconter car souvent lié à des blessures intimes. En parler représente souvent une mise en danger. Il est donc plus qu’urgent que les jeunes d’aujourd’hui connaissent et découvrent les évènements historiques et tragiques qu’a connus leur pays afin d’éviter leur répétition et pour qu’ils ne puissent plus jamais dire « on ne savait pas ». Il faut également qu’ils soient associés dans toutes les démarches sollicitant un dialogue entre histoire et mémoire(s) car, c’est aussi pour eux une excellente manière de participer à l’éducation à la paix et à la reconstruction de leur société.