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Billet retour : Cohoha, le cimetière des rêves de Ndagijimana

Kirundo est grand, Kirundo est beau. Lac Cohoha, Lacs aux Oiseaux, Shinge na Rugero, la province du nord regorge des lieux aussi historiques que paradisiaques. Mais cette beauté idyllique cache mal une réalité que le Burundi connaît si bien : une jeunesse déçue (certains diraient désabusée) par un manque criant d’opportunités. Au détour d’une journée médique, j’ai rencontré un jeune aux idées en décalage avec la bien-pensance et ceux qui ont fait de l’entrepreneuriat une religion.

Tout est parti d’une idée saugrenue d’un collègue qui ne trouvait peut-être pas un moyen d’échapper à sa morne vie. Voilà qu’il nous embarque pour une grande vadrouille au nord du pays (Kayanza, Ngozi, Kirundo, Muyinga, Cankuzo, etc.). Faire du tourisme ? Un truc de blancs ça ! Même eux le font rarement avec ce truc sorti de nulle part pour emmerder toute l’humanité, j’ai nommé Covid-19. Mais voilà, je me retrouve au milieu de nulle part, dans un hôtel des Sœurs Bene Tereza, sans eau courante ni électricité. Heureusement il y avait ces gentilles nonnes qui nous ont gentiment servi une bonne Amstel sans oublier ce poulet, le seul plat au menu au moment où on y a débarqué, c’est-à-dire 21h. 

La bibine coule à flot, et on dort le cœur léger, et c’était le but de cette rocambolesque aventure. Voilà que je me réveille au petit matin avec un petit sourire aux lèvres et soudain, une idée tordue jaillit de mon esprit pervers de journaleux : voir Cohoha ou mourir ! Hop, douche (froide), fringues enfilées à la hâte et me voici débout devant l’objet de mon fantasme matinal. Cohoha ou rien. En deux temps trois mouvements, je cours vers mon destin. Cohoha est sublime, Cohoha est ensorcelant aux premières heures de la journée. Et cette brume qui enveloppe le petit lac ? D ‘ou vient-elle ? Le lac qui respire ? Ce n’est pas toute à fait bête car Cohoha dégage un air si vivant, sans oublier qu’elle couve aussi des vies aquatiques. Perdu dans ma contemplation, Je ne remarque pas un intrus. Même pas 5 minutes pour me gaver tranquillement de cette beauté matinale qu’un type en barque approche de moi : « Monsieur, une virée sur le lac ? Combien ? 3000 BIF ! Non 2000 »

Pas le temps de réaliser ce que je suis en train de faire que le gars accepte ! Bêtement, mon moi qui n’est pas tout à fait moi (celui qui aime prendre des risques inconsidérés) avance vers la rive. Je ne sais pas si la somme plus que modique que je lui ai proposée y est pour quelque chose, mais alors que j’essaie de monter à bord, le type fait une manœuvre suspecte et je me retrouve à boire la Cohoha en moins de deux. Oui je suis tombé dans le lac Cohoha et j’ai bu une tasse aux premières heures de la journée. Rien n’y fait je lance le téléphone et mon porte-monnaie trempés vers la terre ferme et je monte à bord toute affaire cessante. Qu’est-ce que diantre je faisais aux abords de ce lac à 6h30 du matin alors que j’aurais pu être au chaud dans mon lit au « Palais » (à la maison) comme aiment le dire ces sacrés farceurs de Congolais.

 Lui, le ‘’pécheur’’ matinal s’appelle Jean Bosco Ndagijimana. Il n’y a plus beaucoup de saints dans ce monde mais je peux vous jurer que c’est difficile de passer 5 minutes avec Ndagimina sans l’aimer. Il est généreux, il est gentil, il est simplement humain. Vêtu d’un pantalon qui ne va que jusqu’aux mollets dont je n’arrive pas à déterminer la couleur à cause d’un usage prolongé et d’un tee-shirt qui ne paie pas de mine non plus, il reste souriant, ce qui me fait oublier l’idée qu’il m’aurait fait tomber dans la Cohoha sciemment à cause de mon avarice. Même un esprit tordu de citadin ne peut résister à la bonté de sieur Ndagijimana. « Je m’appelle Jean Bosco Ndagijimana, je travaille depuis quelques années pour le compte de se w’ubwato (père du bateau) ». Mon esprit d’alphabétisé tique ! « Père du bateau » ? Oui, Ndagijimana est sain d’esprit. Son « père de bateau » n’est autre que son mentor, celui qui l’a initié au métier de piroguier il y a 3 ans.  ‘’Ndagije’’ comme l’appelle affectueusement ses amis n’est pas instruit. Il ne connaît même pas exactement son âge. Plus ou moins 18 ans, parce que dans notre longue et lacustre conversation, il m’apprend qu’il a récemment eu sa carte nationale d’identité. 

Ses rêves ? Du vent !

Au détour d’une phrase, Ndagije en train de ramer m’avoue qu’il gagne plus ou moins 10 mille Fbu par jour, pour le compte de son patron. Celui-ci ne lui restitue qu’une infime partie de ce montant. « S’il me payait assez, je ne serais pas comme ça », susurre Ndagije entre deux coups de pagaies. Porté par une envie irrésistible de se confier à un étranger (peut-être parce qu’il sait que ce dernier ne répétera à personne). « J’aimerais partir à Bujumbura. Noronka akazi k’ikiboyi, Imana yoba inyibutse (Si je pouvais avoir un travail de domestique, je serais comblé) . Je sais repasser les habits, faire la propreté, faire la vaisselle. Cuisiner pour les gens de la ville, ce n’est pas simple je sais, mais j’apprends vite tu sais ! ». Ces paroles innocemment prononcées, cette jeunesse si serviable, cette bonté à fleur de peau ! Je ne suis pas de nature très émotif, mais ce jour-là j’ai failli verser une larme. Ndagije rêve de devenir domestique, de gagner quelque sous pour revenir sur sa colline construire une maisonnette et se marier. La pirogue qu’il utilise pour avoir de quoi se mettre sous la dent coûte autour de 200 mille Fbu. En aucun cas, il n’a pensé à épargner pour se l’offrir afin de travailler pour son compte. Partir à Buja pour gagner 30 ou 50 mille Fbu, voilà tout son rêve. Autant dire guhungira imvura mu muvo (out of the frying pan into the fire), comme aiment le dire les Burundais.  

Au milieu de Cohoha, je propose à Ndagije de m’apprendre à ramer, chose qu’il fait spontanément. Deux ou trois pagaies plus loin, il ose une question : « Vous habitez à Buja ? ». Je n’ai pas encore répondu qu’il rit déjà ! « Journaliste ? Vous parlez à la radio ? Non ? Vous écrivez ? Il y a des journalistes qui écrivent ? Les matchs de foot, vous les écrivez  aussi ?». Sacré Ndagije ! 

« La misère économe »

On approche de la rive, le navigateur que je suis devenu ne cesse de regarder ce jeune si gentil, si débonnaire, si humain. Voilà la terre ferme, et hop je saute. Je n’ose pas regarder mon instructeur dans les yeux. Froidement, je sors un billet froissé et trempé de 2000 Fbu que je glisse dans sa main. J’ai honte de sa jeunesse gaspillée. J’ai honte de ce foutu lac qui consume les beaux rêves de Ndagije. Je pars, tête basse. Je n’ose pas regarder en arrière, de peur de croiser le regard de Ndagije. Un terme de ce bon vieux Balzac me revient en mémoire : « la misère économe », celle qui use le plus ardent des rêves, celle qui tue l’espoir avant qu’il ne soit né. Des milliers de jeunes dans la fleur de l’âge vivent dans un dénouement total sans aucun espoir de sortir de la misère. Ils se retrouvent piégés dans de petits jobs ingrats ou parfois exploités par des gens véreux. Courage Ndagije. Reste humain !  

 

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