article comment count is: 0

Burundi : is time really money ?

Les Anglais disent que le temps c’est de l’argent. Ceci me semble d’ailleurs être une valeur partagée par tout l’Occident. Le temps est précieux. Aussi précieux que les autres moyens de production comme le capital, la terre, le sous-sol, etc. Mais qu’en est-il pour les Burundais ? Ce contributeur revient sur un cas qui est resté gravé dans sa mémoire pour nous montrer comment nos compatriotes n’accordent aucune importance au temps qui coule mais qui pourtant ne revient jamais. 

Le temps est-il vraiment de l’argent pour les compatriotes de Ntare Rushatsi ? Lui accordons-nous toute l’importance qu’il devrait avoir ? J’aimerais bien me tromper, mais hélas, je crois que nous accordons très peu d’importance au temps qui coule. Même si l’on nous a toujours interdit des généralisations abusives et des conclusions hâtives, la plupart des Burundais, petits et grands, riches et pauvres, considèrent que le temps est élastique, illimité. Qui ne s’est jamais plaint face à un rendez-vous non respecté, après de longues heures d’attente ? Revenons sur l’un de ces nombreux cas de déni de l’importance du temps qui resteront longtemps gravés dans ma mémoire.

L’insouciance d’abord

Le Samedi 08/08/2020 à 16h, je me présente sur les lieux de rendez-vous des cérémonies de remise de dot de ma nièce, comme indiqué sur la carte d’invitation. Etant du côté de la fille, je n’ai pas le droit d’arriver en retard. A mon arrivée, je suis très surpris par le remue-ménage des filles chargées de la décoration des lieux, des tas de tissus, des vases de fleurs à terre, des épingles jetées à gauche et à droite, bref un désordre total. Dans l’arrière-cour, deux garçons s’activent nonchalamment à laver des verres. A quelques mètres plus loin, mes cousins, dont le père de la fiancée, sont en train de siroter tranquillement des bières. Sans enthousiasme, je décide de me joindre au groupe, façon de faire comme les autres, comme on dit chez-nous. Le père de la fille, sans doute gêné par mon regard désapprobateur, ne tarde pas à se justifier : « Les invités n’arriveront pas avant au moins une heure, et la décoration des lieux n’est pas encore terminée », me dit-il sur un ton qui trahissait une insouciance mêlée de résignation. Tout le monde semble approuver les propos du chef de la bande. Je suis tout de même gêné par le peu d’empressement alors que le temps file très vite.

L’interminable attente…

17h. La décoration des lieux est terminée. Nous quittons le bar pour la salle de réception. Nous sommes à peine une vingtaine de personnes. N’eussent été cette salle bien décorée et cette belle musique douce entrecoupée de gospel, personne n’aurait osé parier sur l’existence d’une quelconque fête. Chacun commence à jeter un coup d’œil sur sa montre. Sans trop savoir pourquoi, je suis plus inquiet que les autres. Je commence à me plaindre à haute voix du peu de sérieux des gens, de ce manque d’égard envers les gens. Je me demande s’il ne serait pas préférable de retourner au bar pour prendre une autre bière en attendant que tout le monde arrive, mais cette idée est vite abandonnée. Ce serait ajouter du drame au drame, me dis-je au fond de moi-même. Heureusement, les invités du côté de la fille arrivent petit à petit et la salle se remplit de plus en plus. Du côté de nos visiteurs, il n’y pas âme qui vive.

18h. Les visiteurs ne sont toujours pas là. Au téléphone, ils répondent qu’ils arrivent incessamment sous peu. L’attente devient interminable. Les plaintes fusent à haute voix et la gêne ne se dissimule plus. La résignation a cédé la place à la révolte. Certains d’entre nous, furtivement, ont regagné le bar. Au fur et à mesure que le temps passe, la salle se désemplit au profit du bar d’à côté. Quant à moi, prisonnier de mon cousin, les quelques verres de bière Amstel Royal que j’ai avalés deux heures plus tôt ont évaporé depuis bien longtemps.

L’inquiétude…

19h. Nos invités ne sont toujours pas arrivés. La colère fait de plus en plus place à l’inquiétude. Les idées les plus sombres et les plus pessimistes taraudent les esprits fragiles. Et si tout simplement ils ne venaient pas, telle était la question que tout le monde se posait, mais sans oser l’exprimer à haute voix. Je regarde tourner les aiguilles de ma montre et mon cœur bat lourdement. Dans ces mauvais moments, nos smartphones sont d’une grande utilité. Certains cherchent des messages qui n’arrivent pas, d’autres écrivent des messages pour personne, d’autres improvisent des recherches sur internet, tandis que les plus jeunes se divertissent avec les jeux vidéo. Inutile de vous dire que ceux qui devaient prendre les transports en commun s’étaient déjà éclipsés. Plus un mot dans la salle. Sans cette belle musique et ce décor enjolivé, l’on se serait cru à une veillée funèbre. Mon cousin, le père de la fiancée, a la peur au ventre. Ses yeux sont hagards. Son regard est vide. Nous essayons de l’encourager, mais vraiment le cœur n’y est pas.

Un heureux dénouement à la fin

20h15. Comme la fameuse fumée blanche des conclaves, nos hôtes arrivent en nombre impressionnant. Comme il en est souvent dans les cérémonies de dot, même la pandémie du covid 19 ne semble pas les effrayer outre mesure. C’est un grand ouf de soulagement, une véritable libération du corps et de l’esprit. Nous les recevons sans chaleur, heureux tout de même d’avoir évité la catastrophe. La fête peut commencer.

Une nécessaire remise en cause

Ce cas n’est malheureusement pas isolé. Des situations identiques sont légion. L’on a souvent vu des conjoints en partance pour un rendez-vous quelconque se disputer parce que l’un d’eux, souvent l’épouse, tarde à sortir de la maison. Des gens ont aujourd’hui horreur de prendre le transport en commun pour se rendre aux fêtes à l’intérieur du pays tout simplement parce que la ponctualité est une vertu presque inconnue.

Atavisme culturel ou sollicitations du monde moderne ? Il est impératif que nous changions de mentalité et que nous comprenions, à l’instar d’autres peuples développés, que le temps c’est de l’argent. Ayons toujours à l’esprit cette pensée de Théophrasque que la plus coûteuse des dépenses, c’est la perte de temps.

 

Est-ce que vous avez trouvé cet article utile?

Partagez-nous votre opinion