Dans cette commune du nord du Burundi, les stigmates des massacres de 1988 demeurent dans la mémoire collective. Sans rancune et méfiance, cette période passe pour une leçon à l’endroit de la nouvelle génération.
Assis devant une buvette de la colline Mugendo, trois jeunes commentent à gorges déployées une émission sportive qui passe sur Radio Ten, une station rwandaise. Le soir, il y aura un succulent Real-PSG. Comme d’habitude dans des discussions sur le foot, le consensus n’est pas au rendez-vous.
Nous nous invitons à ce pugilat de mots des fans. « Même ceux-là qui viennent de Bujumbura sont d’accord », note Gaspard, vingt ans quand l’un d’entre nous affirme que le Real est au-dessus de l’équipe de Thomas Tuchel.
Nous profitons de cette ambiance bonne enfant pour glaner quelques infos sur le quotidien de la jeunesse du coin. « La galère », lâche Kevin, un parisien. Il s’explique : « Mis à part quelques petits jobs à l’occasion, nos vies sont monotones. Difficile de se lancer dans un petit business. Ici, les gens sont pauvres, tu pourrais même fermer, faute de clientèle ».
Je le taquine en lui disant qu’il aurait pu se présenter aux élections pour résoudre tous ces problèmes. Il me jette un regard moqueur et sourit. « Moi je ne recueillerais pas assez de voix, je suis trop jeune pour ça. Mais j’espère que le candidat pour qui j’ai voté apportera des solutions. La plupart des hommes politiques passent du temps à tancer leurs adversaires alors que nous, petit peuple, croupissons dans la misère ».
Son ami Gaspard, madrilène, est pour cette fois-là d’accord avec lui. Il cite des jeunes qui se sont mis en quatre pour traquer ceux appartenant aux autres partis politiques que les leurs. « Ils sont toujours dans la même pauvreté. Les politiciens que nous voulons sont ceux qui peuvent faire du bien à tous sans distinction, sinon ils reviendront nous rappeler 88 en plaçant le problème où il n’est pas ».
« Surtout ne pas retomber dans les mêmes erreurs comme par le passé »
Nous avons laissé les footeux pour nous rendre au chef-lieu de la commune. Ces dernières années, Kirundo traîne la fâcheuse réputation d’une province où la famine décime des gens telle une épidémie incontrôlable.
Le vert des rizières à perte de vue contraste avec cette idée reçue. Le paysage fait penser plutôt au grenier du pays, le statut d’antan de ce pays des danseurs Intore.
Claude, la trentaine est un riziculteur du coin. Il a fait l’auto-stop. Nous partageons le petit trajet. Lui aussi se rend au bureau communal. Il se désole de la condition des agriculteurs de Ntega, une commune qui, pour lui « a été bénie par Dieu mais que les hommes ont profané ».
« Tenez, s’emporte-t-il, nous ne pouvons même pas décortiquer notre riz que nous cultivons. Nous devons nous rendre à Kirundo (17 Km). Si nos dirigeants servaient à quelque chose, ils nous procureraient un moulin, au moins ».
À la question de l’image du politicien idéal, il y va franco : « L’idéologie ça ne se mange pas. Qu’ils nous apportent l’électricité, des écoles, des hôpitaux. Le reste on s’en fout ».
Un peu plus loin, nous rencontrons Pacelli, étudiant à l’Université du Burundi en détente. Lui craint la manipulation des partisans sur la question ethnique. Le jeune homme dit « souhaiter une opposition qui joue les garde-fous pour recadrer une majorité qui pourrait jouer sur le passé sombre de la commune pour justifier certaines exactions ».
Ntega blessée, Ntega meurtrie, les yeux rivés vers le futur ses habitants veulent croire aux lendemains qui chantent.
La commune de Ntega s’étend sur 260 Km² et compte près de 150.000 habitants. Elle est tristement connue pour les massacres qui y ont été perpétrés en 1988 au même moment que ceux de Marangara en province de Ngozi.