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« Quel État-Nation pour vivre ensemble au Burundi ? »

C’est autour de ce thème que le Professeur Julien Nimubona a animé, le vendredi dernier, une conférence à l’Université du Lac Tanganyika, pour amorcer une réflexion sur la problématique de la démocratisation en Afrique et au Burundi en particulier.

« Le vivre-ensemble est cette capacité de s’accepter mutuellement, au-delà de nos différences », lance d’emblée Pr. Nimubona pour ensuite se demander « quelle est alors le type d’organisation ou plutôt la forme de gouvernance qui nous permettrait d’entretenir cette flamme de l’acceptation ? »

Dans un contexte mondial fait de paradoxes : d’abord ce village planétaire où la révolution technologique avec les moyens de communications qui devraient rapprocher les sociétés mais où on se retrouve dans des replis identitaires, des populismes et autres intégrismes ethno-raciaux. Ensuite le fait que nous soyons les produits de la socialisation, des constructions de l’identité humaine fait que nous ne devrions pas être réductibles à nos identités originelles pures, qui d’ailleurs ne sont pas si originelles que ça. 

Mais on se retrouve au Burundi à « continuer à croire que nous sommes bien en restant avec les nôtres, de même ethnie, région ou encore parti politique ». « Une illusion identitaire, qui explique les cycles de crises et de violences identitaires », trouve le Pr Nimubona pour qui « le vivre-ensemble est à construire chaque jour, chaque seconde ». 

Mais vient alors la question : pourrons-nous vivre ensemble, égaux et différents ?

Les leçons du passé

Depuis la venue de la démocratie au Burundi en 1993, jusqu’en 2005, le pays a fait une « bifurcation », explique Pr Julien, « c’est-à-dire qu’on a quitté un boulevard de la démocratisation et de la libéralisation qui était en cours, pour prendre une petite voie sans réelle issue, car fondée sur des appartenances politiques communautaires, des idéologies ethno-nationalistes refusant justement le vivre-ensemble ». Et c’est cela la « caractéristique du problème de modernisation des sociétés africaines ». Mais « 2020 est venu avec un clivage purement politique au point de se demander si le clivage identitaire ethnique existe encore ».

Toujours est-il que « nos systèmes d’État et de démocratie, en tant que structures modernes, nous ont été importés, sinon imposés, de/par l’Occident et nous nous posons jamais la question de savoir si en fait nous ne portons pas un costume qu’on n’a jamais essayé, juste pour paraitre et ressembler aux autres ». Car en fait, et pour reprendre l’intellectuel Français Bertrand Badie, il y a trois fondements d’un État moderne qui ne sont pas encore réalité chez nous : le développement économique et le processus d’individuation, la laïcisation, c’est-à-dire la séparation du religieux et du politique et enfin la libération de l’individu vis-à-vis des groupes. 

Ceci parce qu’au Burundi par exemple il (est) arrive(é) de confondre l’Etat et le parti, le parti et l’ethnie et donc l’Etat et l’ethnie, on tente toujours d’expérimenter le développement industriel et surtout nous sommes pris par le rouleau-compresseur des groupes (ethnies, régions, religions, familles, partis politiques…) auxquels nous appartenons. Mais quelle forme de démocratie alors au Burundi pour vivre ensemble ?

« La démocratie pour tous »

Il y a d’abord deux problèmes majeurs : la suprématie du politique sur l’économique qui oblige les individus à « négocier leur vie auprès de l’État, donc du politique », d’où les conflits permanents de pouvoir, l’État ou ses places sont limitées ; et le communautarisme auquel on peut ajouter une société civile faible. Ensuite ce fait que le pouvoir vient du peuple. « Encore faut-il que ce dernier soit compétent pour se donner des institutions avec des lois qui nous régissent dans l’égalité ».

Le système présidentiel, en vigueur au Burundi, a montré ses failles parce que de part d’autres pays, « il a été détourné au profit des présidents autoritaires » que certains appellent chef-président ou père de famille (Sebarundi), un lien familial sans lien de sang. Et au regard de la confusion développée plus haut de l’ « Etat-ethnie, il y a risque de transformation en « Sebahutu ou Sebatutsi », un détournement qui est favorisé par le mode de scrutin majoritaire.

Il y avait eu amorce avec les accords d’Arusha pour une « démocratie inclusive » avec un mode de scrutin proportionnel, c’est-à dire la répartition des positions au pouvoir selon les voies obtenues mais là encore, ce système entraine soit une instabilité politique soit une instabilité gouvernementale.

Et c’est de là que le Pr Julien propose un nouveau concept, « Démocratie pour tous au Burundi », qui articulerait les deux systèmes. Un système qui n’est ni trop majoritaire (comme l’exige la constitution de 2018) ni trop proportionnel et qui se fonde sur ce qu’ils en appellent en sciences politiques l’« assimilation réciproque des élites ». C’est-à-dire en fait « intégrer dans sa politique les idées des autres partis autrement dit un système qui obligerait constitutionnellement un parti au pouvoir à accepter l’assimilation et le partage du pouvoir ». 

Et par là,  il devrait par exemple y avoir un plafonnement du parti majoritaire (à 55% par exemple) et que le reste (45%) soit partagé par les autres groupes politiques, ce qui obligerait ce parti à tenir compte des opinions des autres, qui est en fait le pilier du vivre-ensemble car, conclut Pr Nimubona « la pureté identitaire est non seulement impossible mais elle est surtout illusoire ».

 

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Les commentaires récents (2)

  1. Malheureusement, la constitution de 2018 ne permet pas à d’autres groupes politiques d’entrer au gouvernement ce qui est préjudiciable au bon fonctionnement de nos institutions.