Organisations de défense des droits de l’Homme, police, médias, tous qualifient depuis 2015 les immigrations vers les pays du Golfe de trafic humain. Pourtant en approchant ceux qui y prennent part, il y a lieu de s’interroger.
L’expression “traite des personnes” désigne le recrutement, le transport, le transfert, l’hébergement ou l’accueil de personnes, par la menace de recours ou le recours à la force ou à d’autres formes de contrainte, par enlèvement, fraude, tromperie, abus d’autorité ou d’une situation de vulnérabilité, ou par l’offre ou l’acceptation de paiements ou d’avantages pour obtenir le consentement d’une personne ayant autorité sur une autre aux fins d’exploitation ». Ce sont là les termes de l’article 3 du protocole visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, additionnel à la Convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée.
Pour Marlène*, la trentaine, son départ, son séjour, et son retour d’Oman ne collent en rien à cette définition. Cette native de l’un des quartiers du Sud de Bujumbura est partie dans le sultanat de la péninsule d’Arabie dans la deuxième moitié de 2015. Quelques jours plus tôt, elle était réceptionniste dans l’un des hôtels de la capitale burundaise. Mais au plus fort de la crise de 2015, les affaires dévissent. La chute des recettes journalières de l’établissement est vertigineuse. Marlène comprend vite que son poste est menacé. Les chances de reconversion, elles, sont minces.
C’est le père de son enfant qui évoque pour la première fois la question du départ. Celui-ci dispose de contacts qui pourraient l’aider à trouver des papiers et du travail. « J’avais le choix entre l’Égypte et l’Oman. Mais les conditions de vie en Égypte sont chères, et puis le rial omanais est plus fort par rapport à la livre égyptienne », confie la jeune femme. Va donc pour Oman. Là-bas, elle est dans un premier temps embauchée dans le restaurant d’un hôtel. Elle était réceptionniste quand elle rentre au pays en 2016, avec un joli pactole qu’elle n’aurait jamais imaginé avoir à Bujumbura. «La main-d’œuvre immigrée est surtout sollicitée dans les domaines de l’hôtellerie, de la construction et du baby-sitting. Quand tu ne maîtrises pas encore la langue locale, le salaire de départ oscille dans les 500 dollars par mois. Après une année, tu bénéficies d’une augmentation et le salaire peut atteindre 800 dollars ».
Une vie meilleure
Aujourd’hui, Marlène fait le commerce des habits et des chaussures à Bujumbura grâce au capital qu’elle a pu amasser durant son séjour en Oman. Elle parvient à éduquer sa fille et soutient sa mère, porteuse d’une maladie chronique. «J’en connais d’autres qui sont rentrés d’Oman. Ils ont ouvert des restaurants, tiennent des stands dans différents marchés. Je peux te filer leurs contacts si tu veux », assure-t-elle. Et même si les choses semblent aller pour le mieux, le sultanat d’Oman reste pour elle une terre de plusieurs possibilités : « Je suis en train de chercher comment y retourner. Cette fois-ci, comme j’ai un permis, je chercherai un poste de chauffeur. Le salaire est plus consistant. Et puis je pourrais envoyer au pays des téléphones ou des ordinateurs d’occasion pour être vendus ».
Ne lui parlez pas des risques d’exploitation que courent habituellement les Burundaises qui immigrent vers les pays du Golfe. « J’en avais eu vent avant mon premier départ. Mais je voulais prendre le risque et voir de moi-même ». Quid des multiples cas rapportés d’abus sexuels et de travaux forcés ? « Habituellement, ce sont tes futurs patrons qui te paient les papiers et le visa. Normalement, ils n’ont pas intérêt à te maltraiter puisque si tu tombes gravement malade ils se trouvent dans l’obligation de te renvoyer chez toi. Ce qui est une perte pour eux vu les frais engagés dans le recrutement. Mais il existe forcément des cas d’employeurs qui abusent de leurs domestiques. Tout comme il y en a ici à Bujumbura », nuance-t-elle.
Solutions alternatives
Pour plusieurs organisations de défense des droits de l’Homme, pourtant, la nuance ne passe pas. Selon elles, toutes ces personnes en partance vers les pays du Golfe, composée pour la majorité de filles et de femmes, sont ni plus ni moins victimes de trafic d’êtres humains. Et le phénomène semble s’amplifier avec plus de 4000 cas entre 2015-2018 tels que rapportés par la FENADEB (Fédération nationale des associations engagées dans le domaine de l’enfance).
Mais dans tous les cas, au vu du chômage qui sévit au Burundi, tant que les jeunes verront leurs aînés revenir de ces pays avec une meilleure situation financière, ils seront prêts à tout pour y aller à leur tour. Les arrêter ou démanteler les « réseaux » locaux qui les y amènent ne servira à rien si nous ne proposons aucune solution alternative. Nous contribuons par contre à les enfoncer encore plus dans la clandestinité, dont profiteront d’autres réseaux en dehors du Burundi, moins cléments peut-être.
Pour moi, il faudrait penser à une institution de facilitation entre la main d’œuvre locale et les futurs employeurs afin de réguler ce « trafic ». Ça se fait dans la sous-région. C’est notamment le cas de la TaESA en Tanzanie. Entre autres missions, cette agence du ministère du Travail, de l’emploi, de la jeunesse et des personnes vivant avec un handicap assure la coordination, la facilitation, et le monitoring des recrutements transfrontaliers. Dans le cas du Burundi, pourquoi pas la création de consulats dans les pays de destination pour commencer ?
A relire : Sina : « J’ai été en Arabie Saoudite. C’est l’enfer »