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Reconduction CVR : ce qu’il faudra corriger

C’est un rapport provisoire de quatre-vingt-cinq pages que les parlementaires burundais, réunis en congrès, devaient éplucher en ce 10 octobre 2018 à l’hémicycle de Kigobe. Le constat de la commission politique à l’Assemblée nationale qui a analysé le rapport est sans ambages : « La CVR est encore à la phase préparatoire puisque les enquêtes proprement dites n’ont pas encore commencé » . D’où la recommandation unanime des députés pour une reconduction de la CVR. Si la recommandation est en elle-même tout à fait compréhensible, quelques points du rapport de la CVR mériteraient clarifications.

D’emblée, une nuance. L’affirmation selon laquelle les activités de la CVR seraient encore à la phase préparatoire n’est pas totalement vraie. Ni totalement fausse. En effet, si on s’en tient au rapport provisoire soumis par la CVR, on se rend compte que l’institution a entamé la phase des dépositions sans avoir préalablement épuisé toutes les activités de la phase préparatoire telle que prévu par la loi portant création, mandat, organisation, composition et fonctionnement de la commission vérité et réconciliation.

Ainsi, le rapport nous apprend que rapidement après leurs nominations, les commissaires se sont attelés aux questions relatives à l’organigramme, à la formation des commissaires, à la stratégie de communication de la commission de même que son plan stratégique 2015-2018. Toutefois, cette phase prévoit également le recrutement d’experts chargés d’appuyer la commission, des mesures de protection et d’accompagnement des victimes et des témoins, ainsi que des mesures pour le recueil, la protection et la gestion des archives. Ce qui n’a pu être réalisé durant les quatre dernières années.

Cependant, la commission décide de démarrer la phase suivante de recueil des dépositions après la promulgation le 27 juin 2016 de la loi portant protection des victimes, des témoins et autres personnes en situation de risque. Tour à tour, elle élabore des outils de travail, recrute et forme les cadres provinciaux et agents de recueil de dépositions. Ce n’est pas tout. Le rapport présenté par la CVR nous apprend que du 25 avril 2017 au 06 mai 2018, sous la supervision d’au moins un commissaire par province, des descentes pour recueillir les dépositions sont organisées dans toutes les 18 provinces du Burundi. Fuite en avant ou preuve du volontarisme des commissaires ? Chacun appréciera. Dans tous les cas, le résultat des courses en chiffres est provisoirement de 72. 961 déposants, 100. 024 personnes assassinées ou disparues, 21.671 présumés auteurs des violations, 4.163 fosses communes identifiées et 11.378 personnes qui se sont distinguées dans la protection des vies humaines.

Démunie

Toutefois, ce qui frappe par-dessus tout dans ce rapport, c’est le manque de moyens dont souffre la CVR. On apprend par exemple que les démembrements permanents de la commission au niveau provincial n’ont pu être mis en place et qu’en lieu et place, une période de travail de seulement un mois a été accordée aux cadres provinciaux et 20 jours aux agents des dépositions. La conséquence d’un tel état de fait ce sont des dépositions non recueillies et des témoignages qui risquent de disparaître. On apprend également que la commission n’a pas eu les moyens suffisants pour recruter des experts censés appuyer ses travaux ou l’unité de protection des victimes et des témoins. Pire, pour le dépouillement des dépositions et des enquêtes complémentaires, la CVR a dû recourir à l’emprunt d’une soixantaine d’ordinateurs faute d’un parc informatique suffisant. C’est dire.

Cette situation est en grande partie subséquente à la réticence des partenaires techniques et financiers.  En effet, à part un budget annuel alloué par le gouvernement burundais et quelques activités périphériques financées par certaines ONG partenaires sous forme de séminaires et ateliers, les autres partenaires brillent par leur circonspection. La commission rapporte par exemple un document global de projet qui devait être co-signé par l’OHCDH et le PNUD pour aboutir à un décaissement de fonds. Le document ne sera pas finalisé en raison de ce que les commissaires appellent « des prétextes liés à la crise de 2015 ».

Le bout du tunnel ?

Si donc un consensus s’est dégagé à l’hémicycle de Kigobe sur la prolongation du mandat de la CVR, les partenaires techniques et financiers seraient-ils désormais prêts à mettre la main à la poche? Le parlement burundais sera-t-il cohérent avec lui-même et allouera-t-il à la commission dirigée par Monseigneur Nahimana les moyens qui lui manquent pour accomplir ses missions dans les délais du nouveau mandat ? Ou bien continuera-t-il à annuellement injecter des moyens insuffisants et à renouveler les mandats pendant tout le temps qu’il faudra jusqu’à atteindre 34 millions de dollars tel que requis dans le plan stratégique de la CVR de 2015?

L’inclusivité des dépositions également pose question. En effet, le Burundi compte aujourd’hui 384.062 réfugiés selon les derniers chiffres du HCR. Et le Burundi a cela de triste que plusieurs concitoyens ont vécu plusieurs crises dans leurs communautés, dans leurs familles et dans leurs chairs. Nos réfugiés font partie de ceux-là et leurs dépositions devraient compter. Néanmoins, la commission affirme avoir mis en place un système de dépositions en ligne à l’intention de la diaspora mais selon les propres termes du rapport celui-ci « n’a pas suscité d’engouement ». Et si les commissaires jugent utiles « des missions de contact avec certaines personnes-clés lors des événements, ou des témoins tant burundais qu’étrangers qui disposent de documents et témoignages », nulle mention n’est faite de contacts prévus avec les milliers de Burundais réfugiés dans les pays de la sous-région. En effet, réfugiés et diaspora ça fait deux.

One last (concern) for the road. La quatrième partie du rapport est consacrée à la recherche documentaire et aux résultats de celle-ci. Elle présente une chronologie des événements selon les régimes politiques de 1962 à 2008 et selon « les grands dossiers qui ont retenu son attention pour la lourdeur des violations commises ». Et il se remarque que dans certains cas l’ethnie des victimes est précisée et non dans d’autres. Cette omission (ou cette précision, c’est selon la perspective) risque de susciter le sentiment chez certains, que le motif pour lequel les leurs ont été tués, n’est pas pleinement reconnu.

La commission peut donc faire beaucoup mieux. D’où peut-être la proposition des commissaires pour que soit amendée la loi en vue d’une prorogation de la durée du mandat de la CVR.

 


A relire : Établissement des responsabilités et qualification des crimes : la CVR réussira-t-elle ?

 

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