En réaction à un article paru sur Yaga traitant de la suspension des ONG étrangères, le chercheur-historien et président de l’Association pour la mémoire et la protection de l’humanité contre les crimes internationaux, Aloys Batungwanayo, nous fait part de sa réflexion sur la question.
*les réactions de nos lecteurs n’engagent pas Yaga
27 septembre 2018, la bombe est finalement tombée. Le secrétaire du Conseil National de sécurité a « pris la décision » de suspendre toutes les Organisations non gouvernementales étrangères. Une suspension de trois mois pour que ces ONGEs soient en ordre avec la loi.
Cette suspension a fait couler beaucoup d’encre et de salive dans l’opinion publique. Beaucoup de questions que de réponses jusqu’au 2 octobre date à laquelle le ministre de l’Intérieur, de la formation patriotique et du développement local donnera des clarifications. Quatre documents sont alors exigés pour toutes les ONGE oeuvrant au Burundi : la Convention de coopération signée avec le Ministère des Affaires Étrangères, le Protocole d’exécution de la loi régissant les ONGEs et le Plan National de Développement du Burundi, un acte d’engagement de respecter la réglementation bancaire au Burundi et un Plan progressif de correction des déséquilibres ethniques et genre avec un délai de trois ans et une évaluation d’exécution d’une année.
Pour le Ministre Pascal Barandagiye, tant que ces documents ne seront pas donnés à son ministère, il y aura zéro ONGE opérant au Burundi.
Une mesure qui divise
Cette mesure a été différemment accueillie par la population, les employés tant Burundais qu’étrangers sans oublier les bailleurs de ces ONGE. Parmi les quatre documents exigés, le dernier provoque plus de polémiques et divise les ONGE. Pour cause, ce document demande que les employés nationaux soient 60% hutu, 40% tutsi et 30% des femmes.
Ceux qui s’opposent à cette mesure de «quotas» brandissent la compétence comme seul critère de recrutement. Mais alors, une question me vient à l’esprit : «Cette compétence existe-t-elle seulement chez une catégorie des Barundi, celle des Batutsi?».
Vous l’aurez compris, je suis de ceux qui considèrent que certaines ONGEs semblent recruter dans cette seule catégorie de la population burundaise. Je suis encore de ceux qui reconnaissent qu’à différentes périodes, des Hutu ont été massacrés parce qu’ils étaient Bahutu et que des Batutsi ont été massacrés parce qu’ils sont nés ainsi. Cela veut dire que les criminels qui n’étaient autres que des Barundi différenciaient un Muhutu ou un Mututsi à tuer. Maintenant qu’il s’agit de faire du bien pour ce Muhutu ou Mututsi demandeur d’emploi, pourquoi les patrons de ces ONGE, eux qui avouent ne pas savoir distinguer un Muhutu d’un Mututsi, ne se feraient pas aider pas des Burundais ?
En effet, Mbonimpa Melchior nous montre bien comment les Barundi se connaissent : «Il y a quelques années au Burundi, désigner une personne par son ethnie était comme une obscénité. Les mots « hutu » et « tutsi » devaient être chuchotés entre intimes, les portes closes, à la l’ombre, un peu à la manière des adolescents lorsqu’ils parlent de sexe. On feignait de ne jamais en parler. Pourtant, irrésistiblement, c’était le sujet qui occupait les conversations les plus passionnées ». Et aujourd’hui, surtout avec la crise de 2015, ce débat ethnique est revenu au galop.
Certains exemples d’inclusion
Certaines ONGE ont essayé d’appliquer l’accord d’Arusha dans ce volet de lutte contre l’exclusion depuis longtemps.
En 2002, je sortais fraichement de l’Université du Burundi. Une ONGE a lancé un appel d’offre. J’ai postulé et j’ai été sélectionné pour passer un test écrit auquel j’ai réussi avec brio. Un mardi du 22 août 2002, j’ai reçu un coup de fil via un téléphone fixe. Un rendez-vous du 24 août 2002 m’a été donné pour le test d’interview. Devant une équipe de quatre membres du jury, j’ai essayé de répondre à plusieurs questions mais une m’a semblé bizarre :«Peux-tu nous dire ton ethnie si cela ne te dérange pas?». Et moi de répondre :«Inutile de vous la dire car elle est visible à l’œil nu!» Embarrassé par ma réponse, le jury a essayé de m’expliquer leurs motivations et je leur ai dit sans aucun problème mon ethnie. Le 28 août 2002, j’ai commencé le boulot avec une équipe multiethnique. Nous étions complémentaires et le travail en équipe marchait très très bien. Seulement, des commentaires de l’extérieur de cette ONGE disaient qu’elle recrutait sur base ethnique, comme si c’était un problème.
L’ironie de l’histoire, j’ai constaté sur terrain que la plupart des ONGE qui ont essayé de prendre en compte l’inclusion genre et ethnie sont d’origine américaine. Ceci n’est au contraire pas le cas pour les ONGE d’origine européenne. Pourquoi? Seuls les patrons de celles-ci peuvent donner une réponse.
Un long chemin à faire
Pourquoi la prise en compte du genre et d’ethnie fait-elle problème dans certaines ONGE? C’est purement et simplement un signe qui ne trompe pas : la réconciliation entre les Barundi a encore un long chemin à faire. L’exclusion de «l’autre mauvais» se manifeste toujours dans le recrutement au sein des ONGE. Pourtant, la question de compétence n’est pas du tout un problème car, dans certaines ONGE et elles sont nombreuses, la plupart des employés commencent comme des stagiaires et par après ils signent des contrats si leur stage a été concluant.
Comment parvient-on à avoir un stage au sein des ONGE? Comment peut-on avoir un emploi à temps partiel (agent d’enquête sur terrain, chauffeur, pigiste…)? Lorsque le besoin se fait sentir dans une ONGE, le patron, souvent non Murundi, demande à ses proches «collaborateurs». Ceux-là sont jusqu’à aujourd’hui dans la majorité des ONGE des Batutsi, de par mes observations.
Des expatriés patrons des ONGE, pris dans le piège ethnique des Barundi, se laissent manipuler. Ce sont aujourd’hui eux qui défendent becs et ongles (pas tous) qu’il est hors question de contribuer dans le travail de réconciliation des Burundais. Pourtant, chaque ONGE signe une convention avec le gouvernement burundais pour avoir une accréditation. Entre autre engagements, chaque ONGE accepte de travailler en complément des programmes du gouvernement. Depuis la signature de l’accord d’Arusha, l’État burundais s’est engagé dans le processus de réconciliation. Et donc, si c’est un programme du gouvernement, et que les ONGE ont signé une convention avec ce gouvernement, quoi de plus normal qu’elles puissent accompagner ce dit gouvernement dans ce processus de réconciliation? La plupart des expatriés prestant dans ces ONGE ne fréquenteraient que certains milieux qui les influencent à prendre des mesures loin d’être en concordance avec les complexes réalités burundaises. C’est d’ailleurs cela la grande lacune des expatriés au Burundi dans leur analyse de l’évolution sociopolitique au Burundi.
Pourtant, donner les mêmes chances d’avoir du travail à tout le monde viendrait à faciliter le travail de ces ONGE. En plus de l’expérience, une diversité ethnique et genre ne fait qu’augmenter les chances de réussite des missions des ONGE au Burundi.
Pour les ONGEs déjà accréditées au Burundi, le gouvernement pouvait aussi leur demander de respecter la loi endéans les mêmes délais sans toutefois les suspendre, avec une mise en garde que dépassé ce délai sans fournir les documents exigés, ces ONGEs se verraient retirées leur accréditation.
A relire : Suspension des ONG étrangères : la boîte de Pandore ?