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La classe politique burundaise face au « dilemme du prisonnier »

En réaction, à la déclaration du 22 août du Conseil de sécurité appelant à un dialogue inter-burundais inclusif, le vice-président du Sahwanya Frodebu regrettait dans les colonnes du journal Iwacu « des déclarations qui n’aboutissent à rien ». Et de se demander si le temps n’est pas venu pour les Burundais de trouver eux-mêmes une voie de sortie à la crise actuelle. Une sortie mal vue dans son propre camp.

Les tentatives de résoudre la crise burundaise, il y en a eu à la pelle. Les résolutions du Conseil de sécurité sur le Burundi depuis 2015 sont légion mais aucune n’est parvenue à contraindre l’une ou l’autre des parties en présence à évoluer sur ses positions. Les sanctions de l’Union Européenne plombent une économie burundaise déjà chancelante mais ne sont toujours pas parvenues à plier le pouvoir burundais quant aux exigences de dialogue inclusif et de déverrouillage de l’espace public avancées par Bruxelles.

Le dialogue enclenché par la communauté est-africaine comptabilise déjà quatre rounds et la facilitation peine toujours à peser sur les acteurs de la crise afin d’aboutir à un accord. Face à tant d’initiatives infructueuses de la communauté internationale, il n’est donc pas étonnant que chez certains, l’idée d’une solution burundo-burundaise fasse son chemin. Mais du souhait aux actes, il faut dire qu’il y a plusieurs pas.

Le dilemme du prisonnier

Fondamentalement, je pense que la classe politique burundaise fait face aujourd’hui au dilemme du prisonnier. Imaginez en effet deux voyous A et B arrêtés pour une menue affaire mais soupçonnés d’avoir perpétré dans le passé un hold-up sanglant. Le commissaire de police, faute de preuves suffisantes, décide de confondre les accusés et de les placer en détention dans deux prisons différentes. Il propose alors un marché à chacun des deux.  Si l’un dénonce son ami sans que celui-ci ne le dénonce, il ressortira de prison libre de ses mouvements. Si par contre, les deux refusent de se dénoncer mutuellement, ils seront condamnés à raison de la petite affaire pour laquelle ils ont été arrêtés soit 5 ans de prison. S’ils se dénoncent mutuellement, les deux ne vont écoper que de 10 ans de prison pour avoir coopéré avec la justice. Si en revanche, celui qui est dénoncé n’a pas à son tour dénoncé son compagnon d’infortune, il sera condamné à 20 ans de prison.

Au vu d’une telle situation, il est clair que les deux prisonniers feraient un bon marché s’ils refusent de se dénoncer mutuellement puisqu’ils ne prendraient que 5 ans de prison dans ce cas. Mais les choses ne sont pas si simples puisque les deux prisonniers sont séparés et personne ne peut prédire le choix de l’autre.

Mettons-nous donc à la place du prisonnier A. S’il dénonce son camarade, deux éventualités le guettent : soit son ami va le dénoncer à son tour et le prisonnier A écoperait de 10 ans de prison, soit B refusera de le dénoncer et A ne purgerait que 5 ans de prison.  Mais comme il n’a pas la certitude que B refusera de le dénoncer, A sera tenté de dénoncer son camarade pour se prémunir au mieux de la décision de ce dernier. 10 ans de geôle sont nettement préférables à 20 ans. Le raisonnement sera strictement le même pour le prisonnier B. Les deux compagnons risquent donc 10 ans de prison alors qu’ils pouvaient facilement ne faire « que » 5 ans.

La voie de la facilité

Revenons donc à notre solution burundo-burundaise. Ce n’est pas (que) du nombre d’années de prison dont il est question ici mais du nombre de vies des innocents. Et le fait est que bon nombre des protagonistes semblent encore prisonniers…de leurs camps respectifs. La peur d’être accusé de trahison par sa propre famille politique l’emporte finalement sur la volonté de négocier une sortie de crise. « Traîtres », cet adjectif qui désignait il n’y a pas encore 20 ans les artisans de ce que nous appelons aujourd’hui « Accords d’Arusha ».  On se retrouve donc avec de part et d’autre des choix de la facilité, presque toujours mus par une volonté de se prémunir au mieux de la décision que prendra le camp d’en face.

Dans le cadre d’un café politique, un des négociateurs des accords d’Arusha tirait récemment la leçon suivante : « Il est plus facile de convaincre les gens du camp d’en face que les gens de son propre camp sur la nécessité de négocier ». Qui dit mieux ?

 


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