Wamaziki signifie littéralement : « Qu’est-ce que tu as accompli ? » Le blogueur Jean-Marie Ntahimpera nous explique comment cette question est utilisée par le parti au pouvoir dans la distribution des postes. Une sorte de méritocratie made in CNDD-FDD qui exclut souvent du même coup les plus qualifiés.
Ce mot a commencé à acquérir son sens politique, probablement à la veille des élections de 2005. Le CNDD-FDD était dans une phase de transition entre un mouvement rebelle qui venait de déposer les armes et un parti politique qui se préparait à gagner les élections et qui allait dominer la vie politique du Burundi jusqu’à ce jour.
Wamaziki ? C’était la question qui était posée aux nouveaux adhérents qui, pressentant la victoire prochaine du nouveau parti, et spéculaient sur des postes juteux. Et pour avoir accès à ce partage du gâteau, il fallait montrer ce que tu avais accompli, donc ce que tu « vaux ». Et cette valeur se mesurait à la grandeur de ta contribution au parti. Plus ton chèque était garni, plus tu étais assuré d’avoir de grandes responsabilités dans la future administration.
Cet argent, le CNDD-FDD en avait grand besoin. Il était un nouveau venu dans un espace politique dominé depuis plus d’une décennie par le FRODEBU, qui était son grand adversaire à l’époque, et qui disposait des moyens de l’Etat dans sa campagne. Les campagnes électorales coûtent cher, il fallait que le CNDD-FDD récolte le plus possible de moyens pour être compétitif. Et ça a marché puisqu’il a finalement gagné.
La revanche des « combattants »
Quand ceux qui payaient beaucoup d’argent au parti ont été mis en avant pour les raisons citées plus haut, les anciens combattants qui venaient d’être démobilisés ont été frustrés.
C’étaient eux qui avaient fait des sacrifices au champ de bataille, et si cet ex-mouvement rebelle venait de gagner les élections, c’était d’abord et avant tout grâce à eux. Alors, même si les opportunistes pouvaient « acheter » de grands postes, les grandes décisions devaient être prises par les artisans de la victoire : les anciens combattants ou ceux qu’on appelle plus communément les « Généraux ».
On peut donc dire que Wamaziki désigne une forme de méritocratie made in CNDD-FDD basée sur la force et l’argent. Ce qui nous mène à conclure que dans le parti de l’aigle, les technocrates ne sont pas les plus primés. Et d’après Vincent Dupriez — professeur de Sciences de l’éducation à l’Université de Louvain, la notion de méritocratie « [renvoie] au principe qu’une société juste est une société qui octroie à chacun la place qu’il mérite, en fonction de ses efforts et de ses talents, plutôt qu’une place abusivement héritée ». Or dans le système que nous venons de découvrir là-haut, le méritant est le guerrier et le riche.
Le problème est qu’il y a des gens qui continuent à croire encore aujourd’hui que le fait d’avoir fait la guerre est la seule source de légitimité. J’étais étonné, à la veille de la crise de 2015, d’entendre un des cadres du parti en mairie de Bujumbura se plaindre que quelqu’un qui n’avait pas fait la guerre voulait diriger le parti : « Qu’est-ce qu’il a fait ? Il est venu de l’UPRONA et il veut nous diriger ?»
La conséquence d’un tel mode de pensée et d’agir est qu’il normalise et perpétue l’usage de la force et de la corruption.
Et qu’est ce que ça change ? De toutes les façons le gouvernement ne tombera pas à cause de ces murmures. Croyez-vous vraiment que le CNDD combattait contre le Frodebu ?