Il y a tout juste un an, les violences liées à la crise du troisième mandat franchissaient un nouveau palier. Après l’attaque de camps militaires, une répression musclée est menée dans les quartiers dits contestataires. Depuis l’étranger, le blogueur Abraham qui tient à garder l’anonymat nous raconte comment il a vécu cette journée.
Une année vient de s’écouler, mais ma mémoire reste vive. Je revis cette date fatidique que je n’ai pas vue de mes propres yeux mais que j’ai ressentie dans ma chair et dans mon âme.
Ce jour-là, j’étais parti pour une fête de famille dans un pays de la sous-région. C’était la joie de pouvoir rencontrer certains proches après de longues années et célébrer ensemble la fin d’année. Mais les évènements du 11 et 12 décembre ont tout fait capoter parce que la majeure partie de ma famille était restée à Bujumbura. Nous avions entendu parler d’une attaque de rebelles contre des camps militaires dans la capitale la nuit du 11 décembre. Même si on était « habitué » à dormir sous des crépitements d’armes, c’était relativement dur. Mais ce jour-là, au réveil, rien ne semblait être pareil, même pour moi qui étais à l’étranger. Je me rappelle que ce n’était pas facile de rester en communication avec les gens de Bujumbura puisque une peur insidieuse avait gagné leurs esprits. La frustration se sentait dans chaque mot, et dans tous les quartiers.
Une émotion intenable…
Loin de ma famille, j’étais quand même avec ma mère, une relative consolation. Ce qui s’est passé au lendemain de l’attaque des camps militaires l’avait mise dans tous ses états. Je suivais les informations [généralement] relayées par la diaspora sur Twitter, comme tout le monde. J’ai senti l’ampleur des événements quand ma mère, abattue, s’est assise et a déposé son téléphone juste après avoir ordonné à ma sœur de ne surtout pas sortir de la parcelle. Elle lui avait aussi indiqué les moyens de secours possibles en cas de danger. À ce moment, mes yeux étaient mouillés de larmes. Je vivais une émotion intenable.
Tout le programme de ce jour était chamboulé, j’avais des amis burundais expatriés avec qui discuter mais ça ne pouvait plus marcher. Je vivais un cauchemar.
Le 12 décembre, j’ai vécu tout ce qu’on m’avait raconté sur la triste histoire du Burundi. Je me rappelais les témoignages de mes parents qui ont échappé aux tueries de 72, aux lynchages de 94, etc.
Pourquoi ce cercle vicieux ?
Pourquoi devrais-je encore être victime de querelles politiques en 2016 ? Pourquoi dois-je assister à la détresse de tous ces parents qui [jusqu’aujourd’hui] sont sans défense pour préserver la vie de leurs enfants ? Pourquoi dois-je subir un transfert de traumatisme ? Nul n’ignore qu’un traumatisme qui n’est pas transformé est transféré.
J’essaie de trouver une réponse en établissant un parallélisme dans le temps avec aujourd’hui. Les maux que connait mon pays ne datent pas seulement d’hier. Celui qui a dit que le niveau du conflit burundais était de type très enraciné ne s’est point trompé.
Pourquoi est-on arrivé à une telle impasse ? Peut-être parce que l’injustice s’est démarquée depuis longtemps et qu’on a beau essayer les mécanismes de justice transitionnelle, aucun résultat probant n’en sort. Peut-être que le leadership du pays est rongé simplement par des ambitions personnelles. Ou peut-être qu’il y a une partie qui ne comprend toujours pas que la douleur qui est subie est volontairement infligée à l’autre ? Ce qui, malheureusement, nous laissera toujours dans les préjudices, l’intolérance et la tension, qui conduiront inéluctablement vers d’autres violences, comme celle du 12 décembre 2015.