« La pauvreté et l’inoccupation sont responsables des violences urbaines. »
À l’instar d’autres grandes villes africaines, Kinshasa est le théâtre de plusieurs phénomènes sociaux, dont les plus célèbres sont les shegue et les kuluna. Les enfants des rues et les gangs de jeunes sont désignés comme les principaux responsables d’actes de violence et de grand banditisme dans la capitale de la République démocratique du Congo.
Ruth Ngwanza, Serge Kayembe et Blaise Kakwata sont étudiants à l’IFASIC, la faculté des sciences de l’information et de la communication de Kinshasa. Ils nous parlent dans cette édition des conséquences des phénomènes shegue et kuluna sur la jeunesse kinoise et des solutions que chacun d’eux apporte pour leur éradication.
Cet épisode de Rencontres et Profils est présenté par Razzack Saïzonou.
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Voici quelques extraits de cette édition, retranscrits ci-dessous :
Blaise : Après la démocratisation, les gens se sont retrouvés dans une pauvreté intense. Les pillages et le manque d’emploi ont détruit la couche sociale. Les revenus des familles sont devenus tellement minimes que les parents ne savent plus prendre en charge les enfants. Voilà qui justifierait aujourd’hui cette violence, parce que ces jeunes sont désoeuvrés. Ils ne peuvent que se diriger dans la consommation de drogue, d’alcool et de cigarette avant de se lancer dans la violence.
Ruth : D’une part, c’est la faute des parents, parce qu’un enfant pauvre ne devient pas forcément délinquant s’il est bien éduqué et bien encadré. De l’autre, c’est aussi la faute du gouvernement qui a du mal à créer de l’emploi. Les jeunes ne savent plus rien faire, d’autres sont orphelins, ils n’ont pas de position et ils manquent d’encadrement. C’est pour cela qu’il y a plus de délinquants dans notre pays.
Razzack : On parle de shegue et de kuluna, mais qui sont-ils ?
Serge : Les shegue, ce sont les personnes qui vivent en ville, dans la rue. Ça peut être dû à un décès, peut-être qu’ils ont été chassés de leur maison. En ce qui concerne la violence, l’État doit mettre en place des structures pour éduquer ces enfants qui peuvent devenir des kuluna, des jeunes violents qui agissent en bandes.
Razzack : Y-a-t-il beaucoup de filles kuluna ou shegue en RDC ?
Ruth : Actuellement, il n’y a pas trop de filles kuluna au Congo. Les kuluna sont ceux qui aiment tuer ou faire peur avec des machettes. Les filles, ce sont plus des shegue. La journée, elles sont dans la rue, elles n’ont rien à faire et souvent, elles dorment. Mais la nuit, elles s’habillent et vont dans la rue pour se prostituer.
Blaise : J’ai été victime de cette délinquance des kuluna à plusieurs reprises. Ce phénomène a déstabilisé la ville de Kinshasa. Seuls certains coins de la capitale ont été sécurisés. Faute d’électricité, faute d’accès facile à la police, ce phénomène perdure. Je pense aussi que les églises sont responsables de ce phénomène des kuluna. Certains parents écoutent les dires de religieux qui leur expliquent que la pauvreté ou la maladie dont ils sont victimes est due au fait qu’un de leurs enfants est sorcier. Ils jettent alors cet enfant à la rue. Ces enfants n’ont pas de modèles et sont désolidarisés. Leur réaction face à la société, même si elle est tardive, peut être très violente. Alors, quand d’autres jeunes passent devant eux, ils suscitent leur jalousie et leur violence. C’est tout un travail d’éducation civique que la société congolaise est appelée à faire pour sécuriser la population.
Razzack : Quel rapport entretenez-vous avec eux ?
Blaise : Au départ, c’était la haine. Mais aujourd’hui, je me rends compte qu’on ne peut pas jeter la faute sur ces jeunes. La situation sociale de notre pays ne permet pas à tous d’accéder à des études et à une vie meilleure. Aujourd’hui, il faut leur donner une chance. Mais pour cela, il faut des structures non seulement capables de les accueillir, mais aussi de les orienter.
Razzack : Quand vous voyez des jeunes filles qui se livrent à la prostitution ou ces jeunes shegue dans les rues qui violentent d’autres jeunes, qu’est-ce que vous vous dites ?
Ruth : Ils me font de la peine. L’État congolais doit prendre soin d’eux, surtout les filles qui finissent dans la prostitution. Il faudrait réunir ces femmes-là dans chaque commune et leur proposer un encadrement et des formations.
Blaise : J’ai encadré certains jeunes des rues et aujourd’hui je suis fier, car quelques-uns ont repris le chemin de l’école. Certains sont même à l’université, d’autres sont artistes-musiciens ou sportifs. Notre contribution est maigre, mais elle peut permettre à certains jeunes de sortir de cette situation.