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Les « born-again » des réseaux sociaux

Après deux mois de sévère crise qui secoue ma patrie, les comportements adoptés par les internautes, surtout les usagers des réseaux sociaux sidèrent plus d’un. Ceux-ci m’ont conduit à faire une petite analyse d’un phénomène bien existant en temps normaux mais qui s’est exponentiellement accentué pendant ces moments durs que traverse le Burundi.

Par Aminadab Havyarimana

Dans une société où la tolérance a fait place à la violence et pourtant foisonnante en opinions, les gens préfèrent renaitre aux yeux des autres : born-again phenomenon. Alors, les fervents utilisateurs des réseaux sociaux (surtout Facebook et Twitter) préfèrent se rebaptiser. Un baptême circonstanciel fait passer des individus de X pour Z tout en restant les mêmes, contrairement au baptême religieux qui se veut lui substantiel.

A la grande différence du baptême religieux qui change l’individu dans la société (nouveau nom et conduite religieuse) et son homme intérieur (changement substantiel), un « born-again » des réseaux sociaux reste lui-même en chair et en os. Ce dernier ne joue que sur cet accident « nomenclatural » dans le monde virtuel. Encore, au moment où la présence d’un pasteur ou d’un baptiste s’avère incontournable dans le baptême religieux, le « nouveau fidèle » des réseaux sociaux fait tout. Il officie sur lui et pour lui-même. En même temps, il assume l’engagement des baptisandi et les fonctions du serviteur du divin. En un mot : il se rebaptise lui-même. Pour quelqu’un qui s’appelle « Richard Nizigiyimana » s’affichera sous la nouvelle appellation de « Rido Niz », « Aline Mahoro » comme « Alia Maya »…

Les causes du « baptême »

Comme rien n’est gratuit dans ce monde, la curiosité m’a conduit à scruter quelques-unes des raisons derrière ce phénomène. Ces dernières sont multiples. Leurs fins sont aussi plurielles, les unes plus bienveillantes que les autres. Ainsi, selon la couleur ou la teneur de ce que chacun veut exprimer comme opinion, on a souvent envie de transmettre un message sans laisser de traces. La plupart des messages paraissent « inassumables » aux yeux des auteurs qui ont des raisons d’avoir peur d’assumer publiquement leur paternité. Par un mécanisme d’autoprotection, les gens préfèrent un « faux anonymat ». « Faux anonymat » puisque beaucoup de « born-again » changent leurs photos de profil et de couverture sur Facebook mais nombreux parmi eux sont énormément trahis par leurs albums photos.

Twitter compte Primus Ikanye

Les trois grandes catégories des « born again »

Dans le contexte burundais, en rapport avec la crise, trois grandes catégories peuvent être mises en exergue : ceux qui tiennent des propos purement « inassumables » (mensonges, rumeurs, attaques et défenses) ; ceux qui veulent communiquer un conseil pouvant tomber sous la disgrâce des puissants ou des agresseurs ; et ceux qui s’effacent pendant les moments durs ou se désactivent momentanément pour éviter tout appel à l’action ou tout simplement se préserver de la tentation de réagir sur une quelconque opinion.

En premier lieu viennent ceux qui tiennent des propos qu’ils ont eux-mêmes peur d’assumer. Sous peur d’éventuelle poursuite, les propagateurs de mensonges préfèrent le faire sous le couvert de l’anonymat. On a aussi souvent honte de revendiquer une rumeur forgée de toutes pièces comme on en a aussi à défendre une opinion réductrice. Cette catégorie comprend aussi ceux qui, à court d’arguments, attaquent délibérément et gratuitement des idées bonnes et droites pour la simple tendance partisane.

En deuxième position viennent ceux qui ont de sages conseils à prodiguer mais qui se retrouvent fragiles pour les assumer face à leurs cibles. Ainsi, ces conseils courent le risque d’être taxés de manque de respect aux puissants qui ne veulent ni les écouter, ni les entendre. C’est la même chose quand l’on tente de ramener à la raison une partie en errance puisque celle-ci devient mêmement agressive. Et c’est bien ici que le camp des modérés se retrouve frappé par tous les côtés. Souvent les parties en conflit rivalisent d’agression contre ceux qui prônent la non-violence, les adeptes du juste milieu.

La troisième et dernière position ayant attiré mon attention est celle des gens qui évitent à tout prix d’être trainés dans les courants en vogue. Et je crois que c’est aussi leur droit. Ceux-ci changent leurs noms d’utilisateurs ou se désactivent pendant les moments de tensions. Ils réapparaissent au monde virtuel après l’orage.

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Force est de noter qu’il y en a aussi qui naissent-faux sous des comptes fictifs qui sont créés pour des fins inavouées. Ils se montrent plus engagés pendant les moments de crise.

Au bout du compte, j’ai découvert que ce phénomène de « born again » sur les réseaux sociaux dénote un désir de liberté pourtant souvent phagocytée par plusieurs facteurs. En somme, le peuple a soif de s’exprimer librement, de prodiguer de sages conseils mais se trouvent souvent bloqués quelque part par des obstacles qui leur sont presque incontournables. Pour essayer de contourner ceux-ci, souvent, ils empruntent le chemin du « faux anonymat ». Et si presque tout le monde est désireux de s’exprimer librement, qui étanchera cette soif ?

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