La crise politico-sécuritaire qui sévit au Burundi se cristallise. Des familles sont poussées à la séparation, craignant de mourir ensemble. Le blogueur Léon Bigoro* a rencontré quelques « célibataires forcés » de la capitale.
Elie fait partie de ma famille. Un oncle de ma génération. Je lui rends visite, le côtoie de temps en temps. Dans la parcelle où il habite à Musaga, au sud de la capitale Bujumbura, il y a deux ménages, deux familles. Lui, je le rencontre un matin. Il est seul dans une maison de trois chambres et un salon.
Début juin, Elie a décidé d’évacuer sa femme et ses trois enfants à l’intérieur du pays. « S’il faut mourir, qu’on on ne meurt pas tous. Sauvons au moins nos familles », laisse-t-il filtrer difficilement, la gorge asséchée. Mon oncle n’est pas rassuré par la situation politico-sécuritaire du pays, surtout à l’approche des élections. Il précise : « Vu les violences qui s’observent depuis l’annonce de la nouvelle candidature du président Nkurunziza, il y a lieu de craindre le pire dans les jours à venir. »
Plus les élections approchent et plus Elie a peur. Il a donc préféré rester seul et laisser sa famille bien aimée chez son beau-frère, en sécurité. Cette situation rassurante est néanmoins parfois embarrassante. « C’est une contrainte. La présence de ma famille peut déstabiliser la situation socio-économique de mon beau-frère », reconnaît-il.
Intenable
Elie est sans emploi depuis quatre mois. Il travaillait dans une entreprise à Bujumbura qui a fermé ses portes fin février. Sa femme, elle, n’a jamais eu de travail permanent, malgré sa récente licence en droit. Avant le début de la crise, le couple s’en sortait ainsi, se contentant de petites consultances qu’ils obtenaient de temps en temps.
Elie vit dans une maison qu’il loue 150 000 francs burundais (environ 80 dollars) par mois. Il est le seul à louer sa parcelle, les voisins étant propriétaires de leurs maisons. En plus des charges quotidiennes, le père de famille doit désormais envoyer de l’argent à sa femme et ses enfants, entre 60 000 et 100 000 francs ; cela dépend de sa situation financière. Dans tous les cas, il se sent obligé d’envoyer un minimum d’argent. « Ce serait honteux de voir mes enfants quémander », indique-t-il timidement.
Ensemble, seuls
À Musaga, Elie habite désormais avec Clément, un autre « célibataire forcé ». Lui est propriétaire de la parcelle et employé dans une ONG internationale à Bujumbura. Il a aussi évacué sa femme et ses quatre enfants début juin. Pour les mêmes raisons qu’Elie : l’insécurité, qui ne rassure pas. La famille de Clément s’est exilée plus loin, en Ouganda. « Les miens ne sont pas dans un camp de réfugiés, se rassure-t-il. J’ai décidé de louer une maison pour eux. Je me bats pour les faire tenir. C’est difficile ! »
Malgré les difficultés financières, ni Elie, ni Clément ne sont prêts à ramener leur famille auprès d’eux. Les deux partagent la même analyse : « La situation sécuritaire est loin de se normaliser. Le discours rassurant du gouvernement n’est que de la démagogie. L’école pour nos enfants, nous avons oublié. La belle vie arrosée des charmes de nos épouses, c’est de la vieille histoire. »
Dans pas mal de ménages à Bujumbura, capitale et poumon du pays, les familles se sont séparées, craignant pour leur sécurité. À l’horizon, elles ne voient que des lendemains incertains. Au sein des foyers dans lesquels une partie est exilée, il n’y plus d’enfants jouant, s’amusant ou ennuyant leurs parents. Pathétique, ce troisième mandat !
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* L’auteur utilise un pseudonyme