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Relations interethniques au Burundi : les idées changent

Lors des quatre dernières décennies, l’histoire des Hutus et des Tutsis a été ponctuée de guerres civiles et de massacres, et le clivage qui s’était installé rendait impossible les mariages entre deux personnes d’ethnies différentes. Mais chez les nouvelles générations au Burundi, les idées sont en train de changer.

Josiane*, 28 ans, est une banquière et citadine élégante de Bujumbura, la capitale du Burundi. Elle s’est récemment heurtée au refus de sa mère alors qu’elle – une Tutsi – était prête à dire « oui » à Eric, un homme d’affaires – lui étant un Hutu. « Au départ à la maison, tout le monde croyait en une simple amitié », raconte Josiane. Mais tout bascule quand elle décide de partager la bonne nouvelle avec sa famille : « Ma mère m’a clairement signifié qu’en aucun cas je ne peux être épousée par un Hutu. » Au sein de la famille, les frères, cousins et cousines s’aligneront derrière la fille tandis que les tantes, oncles et grands parents se retrouveront du côté de la mère, faisant augmenter la pression.
Ils m’ont tous lâchée
Autre complication : Eric est un ancien combattant des ex-rebelles hutu, chose initialement gardée secrète par Josiane. Bref, il faisait partie des « bourreaux » des Tutsis. La famille de Josiane a perdu plusieurs de ses membres dans la guerre civile qui a éclatée en 1993 après l’assassinat de Melchior Ndadaye, premier président hutu démocratiquement élu. Comment la famille de Josiane  a-t-elle appris le parcours d’Eric ? La photographie : « Quand mes frères ont vu les photos de mon fiancé en tenue militaire dans le maquis, kalachnikov sur les épaules, ils m’ont tous lâchée », se rappelle avec douleur Josiane. Cédant à la pression familiale, elle sera finalement contrainte de dire à celui qu’elle aime qu’ils doivent tout arrêter.

Avant et après la colonisation
Parler de Hutu et de Tutsi au Burundi n’a pas toujours été synonyme de conflit, de discrimination, ou de massacre. Comme le démontrent les historiens, avant la colonisation une appartenance ethnique était surtout liée à la division du travail, et cela ne causait aucun problème et était même une source d’harmonie sociale. Les Tutsis étaient portés vers l’élevage, tandis que les Hutus tendaient plus vers l’agriculture.

Intellectuels hutus et tutsis convoitent le pouvoir
Toutefois, l’indépendance de 1962 constituera une date-clé dans l’histoire du Burundi. D’après l’écrivain Zacharie Bukuru, dans son ouvrage Les quarante jeunes martyrs de Buta, paru en 1997, « les divisions ethniques vont commencer au lendemain de l’indépendance. (…) Le pouvoir resté longtemps dans les mains de la famille royale est désormais convoité par les intellectuels hutus et tutsis. Le roi essaie de satisfaire tout le monde en alternant les premiers ministres (hutus et tutsis), mais en vain. Une série de tragédies plus meurtrières les unes que les autres occasionne dès lors un nombre incalculable de morts, causant ainsi une cassure dans le cœur des Hutus et des Tutsis devenus rivaux. »

Les oubliettes
Mais le contentieux Hutu-Tutsi tombe de plus en plus dans les oubliettes chez les nouvelles générations. Ce n’est pas par hasard que Josiane a eu le soutien de ses frères, cousins et cousines, et non celui de ses oncles et tantes. Avec la signature des Accords de paix d’Arusha de 2000, qui ont mis fin à la guerre civile entre les mouvements rebelles hutus et les régimes qualifiés depuis longtemps de tutsis, les choses ont été décrispées. Le débat sur les discriminations ethniques n’est plus un tabou contrairement aux années antérieures. Les Hutus et les Tutsis sont tous désormais représentés dans les institutions. Au niveau du jeu politique, la carte ethnique pèse aujourd’hui moins. Ce qui explique ce manque d’attachement aux appartenances ethniques chez les jeunes, qui ont été épargnés des affres de la discrimination ethnique, contrairement à leurs parents.

L’éducation fait changer les idées reçues
Et si certains parents restent encore catégoriques, d’autres le sont moins. Le cas de Philippe, hutu, père d’une adolescente, en est l’exemple : « Comment puis-je empêcher ma fille d’épouser un Tutsi alors que moi-même je l’ai eue avec une femme tutsi ? » Pour lui, l’amour n’a pas de limites. « Il n’a y a pas pire que d’empêcher sa fille de construire sa vie avec l’homme de ses rêves juste pour des motifs ethniques », affirme le père. Pour Philippe, tout réside au niveau de l’éducation: « S’il y a encore des méfiances aujourd’hui, explique-t-il, c’est parce que le conflit a été transmis entre les générations au travers des familles. »

*Mise à jour le 15/04/2014 : Par mesure de sécurité, les noms on été changés.

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